L'HOMME RÉVOLTÉ, Albert Camus Fiche de lecture
Publié en 1951 aux éditions Gallimard, L’Homme révolté est un essai d’Albert Camus (1913-1960), pensé comme une suite et un contrepoint à un de ses précédents essais, LeMythe de Sisyphe (1942). Le livre constitue une réflexion sur la nécessité de la révolte, mais aussi sur les impasses auxquelles elle peut conduire. Il suscite à la fois l’adhésion enthousiaste (Le Figaro, Combat, Le Monde ou L’Observateur) et le rejet violent (les surréalistes, la presse communiste). Paru au cœur de la guerre froide, en plein conflit idéologique autour du communisme et du stalinisme, il provoqua en particulier la rupture avec Jean-Paul Sartre, l’autre grande figure intellectuelle française de l’après-guerre.
Nécessité et limites de la révolte
L’essai se compose de cinq chapitres précédés d’une introduction générale. Le premier chapitre, « L’homme révolté », pose deux idées essentielles : d’une part, contrairement aux apparences, la révolte est un acte positif, un non qui signifie un oui, l’affirmation d’une conscience et d’une valeur ; d’autre part, cette valeur, commune à tous les hommes, est préexistante et ressortit à une « nature humaine ». Par conséquent, elle est par essence à la fois individuelle et collective : « Dans la révolte, l’homme se dépasse en autrui » ; « Je me révolte, donc nous sommes ».
Après un retour sur la Bible et les Grecs, Camus situe au xviiie siècle le véritable point de départ de la « révolte métaphysique » – titre du deuxième chapitre de l’essai – de l’homme contre sa condition. Sade (« La négation absolue »), les romantiques (« La révolte des dandys »), Dostoïevski (« Le refus du salut »), Nietzsche (« L’affirmation absolue »), Lautréamont, Rimbaud et les surréalistes (« La poésie révoltée ») constituent autant de jalons d’une radicalisation progressive, qui voit la protestation et la transgression emporter tout avec elles et favoriser la montée du nihilisme. D’abord tournée contre Dieu puis sécularisée, la révolte devant le non-sens de l’existence tend à s’affranchir de toute règle et de toute morale, puis, dans un mouvement dialectique de destruction et de (re)construction, à rechercher une cohérence, un nouvel ordre, une nouvelle morale (y compris sous la forme d’une antimorale) qui s’avèrent criminels et despotiques.
Il s’agit pour Camus d’examiner comment ce double mouvement s’est incarné dans une « révolte historique » (intitulé du troisième chapitre), en l’occurrence un projet révolutionnaire, lequel a toujours fini par abolir la liberté et installer la terreur, versant politique du nihilisme métaphysique. Partant de la condamnation à mort de Louis XVI et de l’instauration d’une religion de la vertu imposée par la guillotine (« Les régicides »), évoquant successivement Rousseau, la philosophie hégélienne de l’histoire (« Les déicides »), les nihilistes et les anarchistes russes (« Le terrorisme individuel »), le nazisme et le fascisme, le marxisme et le stalinisme (« Le terrorisme d’État et la terreur irrationnelle »), Camus retrace l’histoire de cette perversion : de la révolte en révolution et de la révolution en tyrannie.
Ce devenir nihiliste de la révolte se constate également dans l’art (« Révolte et art », titre du quatrième chapitre) : « La révolution et l’art du xxe siècle sont tributaires du même nihilisme et vivent dans la même contradiction. » L’artiste, et tout particulièrement le romancier, refuse par essence le monde tel qu’il est et, en démiurge, entreprend de le (re)façonner. Mais s’il « ne peut ni ne veut consentir totalement au réel », il ne saurait pas non plus « s’en écarter absolument ». Il lui faut donc assumer la tension entre ces deux impasses du strict réalisme et du pur formalisme qui caractérisent l’art contemporain.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification
Autres références
-
CAMUS ALBERT (1913-1960)
- Écrit par Jacqueline LÉVI-VALENSI
- 2 953 mots
- 1 média
...Justes (1950) vont retrouver la rigueur de la tragédie classique. Diégo et Kaliayev pourraient reprendre à leur compte la déclaration fondatrice de L'Homme révolté (1951) : « Je me révolte, donc nous sommes. » L'originalité de la réflexion et de l'enquête que Camus mène sur la révolte tient... -
JEANSON FRANCIS (1922-2009)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 376 mots
Philosophe, Francis Jeanson fut le fondateur d'un réseau de soutien au Front de libération nationale (FLN) algérien. Né à Bordeaux le 7 juillet 1922, Francis Jeanson a fait des études de lettres et de philosophie avant de gagner l'Espagne en 1943 pour échapper au STO (Service du travail...
-
VIOLENCE (philosophie)
- Écrit par Marc CRÉPON
- 6 588 mots
- 4 médias
...des fins elles-mêmes – la libération de l’oppression, de la domination, l’égalité… – qu’ils étaient censés permettre d’atteindre. Aussi Albert Camus pouvait-il souligner, dans L’Homme révolté(1951), qu’aucune fin, pas même la plus noble en apparence, ne pouvait justifier de tels...