L'IDÉOLOGIE TRIPARTIE DES INDO-EUROPÉENS, Georges Dumézil Fiche de lecture
Placé avant les grands tableaux philologiques et littéraires de la série Mythe et épopée (1968-1973), L'Idéologie tripartie des Indo-Européens (1958) se présente en réalité comme un bilan des travaux liés à la découverte capitale que Dumézil (1898-1986), renonçant à l'herméneutique frazérienne perceptible dans ses premières recherches de mythologie comparée (Le Festin d'immortalité en 1924, Le Crime des Lemniennes en 1924), avait présentée dès 1930 lors de ses cours à l'École pratique des hautes études puis dans un article de 1938 : il y montrait que Indo-Iraniens et Indo-Européens occidentaux s'organisaient fondamentalement sur une même structure tripartie. Admirable introduction à l'œuvre tout entière, L'Idéologie, commandée par un éditeur allemand qui refusa finalement le manuscrit, condense ainsi autant les résultats engrangés de l'étude exploratoire des différentes provinces indo-européennes (et consignés dans la série Jupiter Mars Quirinus entre 1941 et 1948), que ceux liés à l'analyse interne des trois fonctions distinguées (Mitra-Varuna en 1940, Horace et les Curiaces en 1942, Aspects de la fonction guerrière chez les Indo-Européens en 1956). S'appuyant sur les travaux d'É. Benvéniste, de Vendryes et de J. de Vries et avec le renfort de quelques disciples (L. Gerschel, D. Dubuisson), l'historien des religions suit une méthode comparative qui, inspirée par son maître A. Meillet, applique à l'anthropologie la démarche linguistique.
Une synthèse magistrale
À la fois dense et synthétique, l'ouvrage, assorti d'un grand nombre de notes, divise sa centaine de pages en trois chapitres qui ont pour particularité éditoriale d'être composés d'une suite de petits paragraphes numérotés et de « résumés ordonnés et liés » visant à saisir, comme le précise l'auteur en introduction, « l'esprit de la civilisation indo-européenne ».
Après avoir balayé les différents documents portant sur les peuples indo-iraniens et celtiques (examinés à travers l'organisation respective de leur système de classes), sur l'histoire légendaire de Rome (à partir des élégies de Properce) et sur la division des tribus ioniennes, le chapitre i invite à voir dans les concordances observées et inexistantes dans les textes égyptiens, sumériens, acadiens, phéniciens, bibliques, sibériens, taoïstes et confucéens, une conception commune de la structure sociale fondée sur la hiérarchisation de trois fonctions : prêtres, guerriers et producteurs. Cette trifonctionnalité renvoie à une dimension « idéologique » qui organise toutes les nuances des différentes applications sur la distinction entre le sacré, la force physique et la fécondité. Dumézil cite à l'appui les exemples des trois guna védiques, des éloges tripartis des Indiens, des trois fléaux chez les Celtes, des trois vertus platoniciennes, de la classification avistique des trois médications, de la symbolique romaine des couleurs ou encore de la légende scythique des trois fils de Targitaos et du récit grec du jugement de Pâris.
Le chapitre ii s'attache aux théologies triparties, en montrant l'existence et la formation d'un « regroupement central de divinités solidaires, qui se définissent les unes par les autres et se répartissent les provinces du sacré » selon l'ordre trifonctionnel. Dumézil considère ainsi la triade indienne Mitra-Varuna, Indra et Ashvins, tenant respectivement les fonctions de souveraineté, de guerre et de prospérité, que l'on trouve également dans les entités zoroastriennes (Asa, XsaOra, Armaiti), dans le groupe italique (Jupiter, Mars, Quirinus) et dans la mythologie nordique des dieux Odin, Thor et Freyr. Cette utilisation analytique de la structure se double d'un usage synthétique, comme le montre Anahita ou encore[...]
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Écrit par
- Éric LETONTURIER : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne
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