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L'IDIOTIE (J.-Y. Jouannais)

N'est pas idiot qui veut. À partir d'articles publiés dans des revues artistiques (telles qu'art press, dont il fut le rédacteur en chef adjoint de 1991 à 1999), de conférences données dans diverses universités et de réflexions inédites, le critique d'art Jean-Yves Jouannais a composé L'Idiotie (éd. Beaux-Arts Magazine, Paris, 2003), un ouvrage de dix chapitres, eux-mêmes abondamment subdivisés, le tout accompagné d'une riche et originale iconographie. L'ensemble se présente comme un essai sur l'idiotie, sous-titré « Art, vie, politique – méthode ».

Idiot, ce livre l'est certainement dans la mesure où il est loin d'être bête. L'auteur explique en effet que le meilleur antidote à la bêtise – tout comme à l'intelligence, d'ailleurs – reste l'idiotie, à condition d'en exhumer l'étymologie quelque peu oubliée. Empruntant sa définition au philosophe Clément Rosset, il rappelle que l'idiot (en grec idiôtès) désigne le simple, le singulier, l'unique, avant de renvoyer à l'acception plus commune de simple d'esprit qu'évoque immanquablement le souvenir de l'idiot du village. Et singulier, ce livre l'est à plus d'un titre. Il manifeste d'abord son idiotie en articulant cette notion avec celle d'art moderne, la modernité étant entendue en un sens historiquement large, qui annexe aussi bien les Incohérents du xixe siècle que les dadaïstes au début du siècle suivant, ou quelques artistes contemporains, tels Arnaud Labelle-Rojoux, Maurizio Cattelan ou Martin Kippenberger.

La figure de l'artiste considéré comme un idiot se tient en marge de la doxa, elle hésite donc entre le modèle dostoïevskien et les duettistes flaubertiens Bouvard et Pécuchet. Alfred Jarry et son Père Ubu ne se trouvent pas loin non plus. Bien sûr, d'autres exemples, plus spécifiquement reliés à l'histoire de l'art, viennent traverser cet ouvrage. Salvador Dalí, Kurt Schwitters, Raoul Haussmann, Richard Huelsenbeck et René Magritte dans sa « période vache » forment, avec quelques autres, un terreau fertile où viendront germer quantité d'héritiers. Comme dit l'auteur : « Après, on peut discuter sur le coefficient d'idiotie de chacun. »

Ce qui, en revanche, ne souffre aucune discussion, c'est bien l'originalité du livre lui-même considéré sous son aspect d'objet. Creusée dans une épaisse couverture vermillon, une illustration de Pierre La Police représente un groupe hilare composé de quatre messieurs en costume noir formant haie derrière une femme qui, avec sa bouche ouverte et ses chaussettes montantes, a l'air particulièrement idiot. L'incrustation de ce dessin thermoformé permet au lecteur de le presser avec ses doigts comme le font les enfants avec divers animaux en caoutchouc qui font pouêt pouêt. L'enfance et surtout l'adolescence adoptent ici l'accent que leur prêtait Witold Gombrowicz, opportunément cité en ouverture du chapitre intitulé « Une pornographie de l'immaturité » : « La jeunesse m'apparut comme la valeur la plus haute de la vie… mais cette “valeur” a une particularité, inventée sans doute par le diable : étant jeunesse, elle se tient au-dessous du niveau de toute valeur. »

À l'inverse, les valeurs reconnues se trouvent déplacées de leur socle pour être réutilisées sur un terrain inhabituel. Ainsi le roman de Dostoïevski est-il comparé à un match de rugby, non par esprit de dérision mais parce que l'un et l'autre relèvent, selon l'auteur, d'un héroïsme médiocre. Davantage que le jugement porté sur L'Idiot, c'est le point de vue selon lequel il est observé qui marque la singularité, donc l'idiotie, du commentaire. Quand le prince Mychkine, d'une simplicité et d'une pureté[...]

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