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L'ILLUSION COMIQUE, Pierre Corneille Fiche de lecture

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Comment défendre le théâtre et les comédiens au moyen du théâtre ? Comment, lorsqu'on est Pierre Corneille (1606-1684), poète dramatique de bientôt trente ans, déjà assez connu à Paris, auteur d'une tragi-comédie (Clitandre, 1631), de quatre comédies (Mélite, 1629-1630 ; La Veuve, 1632 ; La Galerie du palais, 1633 ; La Place royale, 1634) et d'une tragédie (Médée, 1635), acquérir une notoriété suffisante pour envisager d'être un véritable professionnel ? Comment, en suivant la mode de l'illusion à l'espagnole et le thème baroque du « grand théâtre du monde », plaider pour le théâtre – cet art neuf adulé à la ville et pourtant menacé par les défenseurs d'une morale stricte – et rendre compte de la complexité de l'univers, pris entre le rêve, l'illusion et le réel ? Comment, enfin, répondre à la commande de Montdory, chef de la troupe du Théâtre du Marais, qui souhaite attirer un public nourri grâce à quelques scènes majeures dans lesquelles il pourra employer Bellemore, un acteur qui sait jouer les fanfarons, donc les Matamore ? L'Illusion comique répond à ces questions avec tout le brio possible.

Représentée pour la première fois à la fin de 1635, L'Illusion comique n'est publiée qu'en 1639, et sera modifiée – accompagnée d'un Examen – en 1660, de manière à mieux correspondre aux bienséances, mais aussi à rehausser la pièce en la rendant capable de traiter une question plus noble et plus générale : la comédie ne sera plus alors que L'Illusion. Dès le titre original (L'Illusion comique, comédie), le principe d'une pluralité de sens s'affirme : l'illusion est à la fois celle de la « comédie » en général, entendons du théâtre ; celle d'un genre particulier, la comédie ; celle de l'art du comédien – et de l'auteur de théâtre – qui doivent entraîner le spectateur à croire à cette illusion représentée ; l'illusion aussi que la comédie doit faire rire – une œuvre théâtrale peut fort bien ne pas faire rire, mais donner à penser tout en plaisant ; c'est enfin l'illusion théâtrale que l'intrigue dispose, qu'elle représente par sa structure interne. Tout cela concourt à faire de la pièce une grande dissertation mise en acte du jeu comique.

L'« étrange monstre », ou les aventures de Clindor

À la fois « caprice » et « galanterie extravagante », de l'aveu même de Corneille, la pièce fonctionne sur plusieurs niveaux et détermine ainsi la représentation du « théâtre dans le théâtre ». Premier acte, premier lieu, premiers personnages : une grotte de magicien tourangeau, perdue dans la campagne, à la fois mystérieuse et tournant en parodie des grottes baroques propres au théâtre du temps. Pour avoir des nouvelles de son fils, Clindor, Pridamant, père de famille autoritaire et inquiet, vient voir Alcandre, un homme capable d'évoquer « des spectres pareils à des corps animés ». Telle est l'action-cadre : la recherche de son fils par un père coupable d'avoir été trop dur.

Le deuxième niveau va déployer, aux actes II, III et IV, les personnages évoqués par Alcandre : nous assistons donc à la révélation par le Grand Mage de la vie du fils, en présence du père-spectateur. Clindor, absent depuis dix ans, a exercé tous les métiers du monde avant de devenir le valet d'un soldat fanfaron (Matamore). C'est d'abord ce qu'Alcandre raconte (acte I, scène 3), c'est ensuite (acte II) ce qu'il représente sous les yeux de Pridamant, en lui demandant de ne pas intervenir, de ne pas faire de brouhaha (comme les spectateurs du temps), de manière à ne pas rompre l'illusion.

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Voici donc Clindor en train d'écouter les vantardises de son maître, amoureux d'Isabelle, elle-même poursuivie par les assiduités d'Adraste qu'elle décourage. Clindor aime Isabelle et en est aimé, tandis que son rival Adraste, apprenant par la servante d'Isabelle (Lyse, éprise en secret de Clindor) l'amour des jeunes premiers, décide de se venger : nous voilà dans une pastorale où l'amour est traversé d'obstacles et où la chaîne des sentiments (Lyse aime Clindor qui aime Isabelle, qui est aimée d'Adraste et de Matamore) menace les amants. Après un retour à l'action-cadre (acte II, scène 10), qui nous montre Pridamant craignant pour son fils, l'acte III peut commencer. Géronte, père d'Isabelle, ordonne à sa fille d'épouser Adraste : résistance de la fille, colère du père, aide proposée par Matamore, nous sommes cette fois dans une « vraie » comédie. Lyse vient chercher Clindor pour le conduire auprès de sa maîtresse. Le jeune homme, par intérêt ou par inconstance, assure Lyse de ses sentiments les plus vifs : nous sommes maintenant dans une comédie cornélienne où, imitant l'Hylas de L'Astrée, les inconstants parlent très haut. Lyse, qui sait tout, décide de se venger, tandis que Matamore vient exiger que Clindor abandonne Isabelle ; Clindor, qui connaît bien son maître, refuse et, en lui faisant peur, obtient que Matamore lui « donne » la jeune fille : nous sommes au bord de la farce. Mais Adraste apparaît, provoque Clindor et meurt de sa main, dans un duel de tragi-comédie. Clindor est conduit en prison. Un nouveau retour à l'action-cadre – Pridamant s'inquiète pour Clindor malgré Alcandre qui le rassure – marque la fin de l'acte.

L'acte IV poursuit la tragi-comédie : Isabelle veut mourir avec Clindor ; Lyse, qui renonce à se venger, annonce qu'elle peut faire libérer le jeune homme – le geôlier est amoureux d'elle – et tous trois quittent la ville. Au moment où Pridamant s'apprête à applaudir à cet heureux dénouement apparemment réel, Alcandre lui indique que la « représentation » n'est pas finie (c'est la fin de l'acte IV). On va une fois de plus changer de lieu, de ton et de style. Des années ont passé, il s'agit maintenant de montrer Clindor dans une situation pleine de gloire. C'est l'acte V, et le troisième niveau de l'illusion : Isabelle et Lyse entrent sur scène richement vêtues. Lyse, en suivante, conseille à sa maîtresse de se résigner devant l'amour que Clindor, son mari, porte à Rosine, la femme du prince Florilame. Dans l'obscurité du théâtre, Clindor déclare son amour à Isabelle qu'il prend pour Rosine, veut se justifier lorsqu'elle se fait connaître, puis lui affirme qu'il renonce à son amour adultère. Mais la situation tourne à la tragédie : les gens de Florilame assassinent Clindor, et Isabelle meurt de chagrin. Devant la représentation de cette fin sanglante, Pridamant se désespère. Mais il se trouve vite confronté à des comédiens qui se relèvent, et comptent la recette de leur spectacle tragique. Alcandre a alors beau jeu de lui prouver que le théâtre l'a enchanté, bouleversé, et que son fils-comédien a choisi un merveilleux métier, qui de surcroît rapporte de l'argent : « Ainsi tous les acteurs d'une troupe comique,/ Leur poëme récité, partagent leur pratique :/ L'un tue, et l'autre meurt, l'autre vous fait pitié ;/ Mais la scène préside à leur inimitié./ Leurs vers font leurs combats, leur mort suit leurs paroles/ Et, sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles,/ Le traître et le trahi, le mort et le vivant,/ Se trouvent à la fin amis comme devant. » Pridamant, confus mais content, pardonne et se range aux arguments de ceux qui estiment que le théâtre est utile, moral et divertissant.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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Autres références

  • COMIQUE

    • Écrit par
    • 1 069 mots

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  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIe s.

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    • 3 médias
    En tout cela règne une certaine confusion générique. Ainsi, intitulée comédie,L’Illusion comique de Corneille, créée durant la saison 1635-1636, encadre, selon son auteur lui-même, une tragédie formant son acte cinq ; mais l’ensemble de la pièce relèverait plutôt, à nos yeux, du genre tragi-comique....
  • THÉÂTRE OCCIDENTAL - Histoire

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    Les édits royaux de 1641, en réfrénant la grossièreté licencieuse qui sévissait encore sur la scène, assurèrent au théâtre ses lettres de noblesse. Corneille, par la voix du Magicien de l'Illusion Comique (1635) avait salué cette promotion :

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