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L'INCENDIE, Tarjei Vesaas Fiche de lecture

L'œuvre de Tarjei Vesaas (1897-1970), l'un des plus grands écrivains norvégiens, est encore mal connue chez nous. Si Vesaas a voyagé, notamment en Allemagne et en Autriche, il est demeuré lié, jusque dans le choix de ses décors et de ses personnages, au Telemark, la région qui l'a vu naître et où il passa une partie de sa vie. Parmi les livres traduits se détachent Les Oiseaux (1957) et Palais de glace (1963), qui décrivent des êtres silencieux : un simple d'esprit, une petite fille, tous deux en retrait par rapport au monde des adultes, et comme traqués par leurs regards, leurs questions, mais jouissant en revanche de privilèges insoupçonnés.

Cette solitude, on la retrouve quasi souveraine dans L'Incendie (1961), dont la facture diffère profondément des Oiseaux ou de Palais de glace. Si certains thèmes demeurent, ils apparaissent amplifiés et comme portés au rouge par la narration.

Un monde livré au mal

Que décrit L'Incendie ? L'errance d'un personnage dont nous ne connaîtrons que le prénom, Jon, et dont on nous dit au commencement du récit qu'il est « le nouveau venu, le jeune homme inconnu ». Personnage sans passé, soudain condamné à affronter le monde sous tous ses avatars. Qu'est-ce en effet que cet incendie qui donne son titre au livre, sinon une fièvre déconcertante qui éclate soudain et qui, loin de se laisser apprivoiser, n'aura plus de cesse qu'elle ne se soit propagée ? L'errance est ici la négation de la rêverie : tout au long de son roman, Vesaas nous montre un être comme possédé, obligé de constamment repartir et d'éprouver dans sa chair, à travers rencontres et visions immédiatement intériorisées, l'incandescence du réel : « Il se mit à penser à la vie grouillante sous la surface du sol. Sous la plante de leurs pieds, sous les pierres, sous les maisons. Les bestioles. Beaucoup d'entre elles affreuses, comme on n'en a jamais vues. Bizarres. »

Du glacé au brûlant, toute une gamme tactile sera explorée, sans que jamais un état intermédiaire apparaisse autrement que comme une tentation ou une fausse promesse. Périple que rien ne semble jamais devoir interrompre, L'Incendie a la vérité implacable d'un verdict qu'on exécute. Car Jon n'apprend rien d'autre au cours de ce périple que la domination du mal ; il ne fait que s'enfoncer vers plus d'obscurité, ne connaissant que de rares instants de rémission, lorsque le feu cesse d'être une brûlure inapaisable pour devenir lueur d'un regard, chaleur d'une présence.

Au cours de sa progression à travers plaines et forêts, Jon va rencontrer des êtres qui ne seront jamais nommés qu'« un homme », « une jeune fille », au mieux désignés par l'occupation à laquelle ils sont comme enchaînés. Ces êtres ont la fugacité des ombres ; en même temps, la brutalité de leur parole, la certitude qui émane d'eux suffisent à leur donner une réalité qui manque à Jon lui-même. C'est qu'une fois abordés ils cessent de lui être des présences purement extérieures pour s'introduire en lui et l'entraîner dans leur course. La limite qui les sépare de Jon se fait chaque fois impalpable, de même que tout ce qu'il aperçoit est aussitôt converti en menace ou présage. Et le talent de Vesaas est d'avoir su dans ce roman donner au réalisme les couleurs du fantastique, en sorte que chaque épisode se revête de la certitude du rêve, et possède la même énigmatique absence de fond.

Une vieille femme montre à Jon des moutons agonisants ; une tête de cheval enflammée surgit d'une fenêtre : il ne faut pas voir là des symboles à décrypter mais d'irréductibles images mentales, que le langage ne saurait décomposer sans les détruire. De telles visions sont alors la résolution insoutenable d'un moment et d'un lieu en une réalité,[...]

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