L'INCENDIE, Tarjei Vesaas Fiche de lecture

La communication empêchée

Se cramponner à quelque chose, à cause du vertige, peu importe ce que c'était. L'Incendie est en effet la description d'une chute dans la réalité, et des vains efforts de Jon pour ralentir cette chute. Pour cela, Vesaas a recours à un soliloque guère séparable de l'évocation de ce qui cerne et menace Jon. Les mots disent ce qui est, dans la crainte et le tremblement, ils disent d'abord l'obscurité de ce que maladroitement ils approchent. Dans ses ruptures, dans la manière de s'attarder sur l'inconnaissable, le soliloque de Jon donne au livre son vrai rythme. Reflétant la brutalité et la liberté de l'errance, il se révèle le seul point de jonction possible entre le monde et celui qui le traverse. L'incendie, c'est aussi cet embrasement de la parole devant toute chose. Pas plus qu'il n'a de lieu vers lequel se retourner, Jon n'a de mémoire : au hasard des rencontres et des lieux, il découvre dans un présent renouvelé ce qu'il est, et sa parole s'avère d'abord le récit d'une découverte, donc d'une innocence.

Ce soliloque, le rompent seulement les dialogues avec les personnages rencontrés, dialogues qui sont l'ambiguïté même : prosaïques et piégés, chargés d'allusions et de suspicions, ils pervertissent la communication au lieu de la permettre. Dans un monde d'où toute complicité s'est retirée, ils sont autant de questions sans réponse, manifestant l'étrangeté de chacun pour ses semblables. Ainsi, Jon n'est-il jamais aussi loin de toute communication que dans la scène finale, au cours de laquelle il tente de convaincre une jeune fille de se détourner de la mort qu'elle appelle sur elle. Mais, qu'échappant par miracle à la lourdeur de son corps, à son mutisme effrayé, il parvienne dans une scène antérieure à caresser en silence le bras d'une autre jeune fille, et la brûlure un instant s'apaise, se change en rayonnement, en calme exaltation. On n'est pas loin, ici, de l'univers du cinéaste Andrei Tarkovski.