L'INÉGALITÉ DES CHANCES. LA MOBILITÉ SOCIALE DANS LES SOCIÉTÉS INDUSTRIELLES, Raymond Boudon Fiche de lecture
Faisant suite, dans la production de Raymond Boudon (1934-2013), à des travaux consacrés à la place à donner aux mathématiques dans la méthodologie et l'épistémologie des sciences sociales, L’Inégalité des chances porte sur l'analyse critique de la relation existant entre le niveau de scolarisation et la mobilité sociale pour en montrer le caractère non mécanique et non déterministe. En effet, contrairement aux discours optimistes de l'idéologie égalitariste de l'époque, la démocratisation de l'enseignement n'entraîne pas une disparition progressive de l'inégalité des chances scolaires ni une hausse de la mobilité sociale. Boudon montre que l'explication de ce phénomène n'est à rechercher ni du côté des thèses fonctionnalistes qui y lisent la volonté des groupes dominants, l'effet reproductif des structures sociales et la force de l'héritage culturel, ni dans une approche unifactorielle de la mobilité sociale. Selon le chef de file de l'individualisme méthodologique, il faut davantage y voir un processus de décision scolaire variable selon la position sociale, et l'interdépendance systémique des facteurs de mobilité.
Une analyse en termes de modèles
La première partie de l'ouvrage s'attache précisément à ce dernier aspect à partir des conséquences méthodologiques que Raymond Boudon tire de ce qu'il nomme « le paradoxe d'Anderson ». En 1961, ce dernier montrait que la promotion scolaire d'un individu ne garantit pas sa promotion sociale, et inversement qu'une réussite scolaire inférieure à son père n'implique pas automatiquement une mobilité sociale descendante. Ce double constat invite donc Boudon à préférer pour toute son étude la « méthode quasi expérimentale des modèles » à la syntaxe syllogistique.
La deuxième partie vise à l'application de cette méthode au problème de l'inégalité des chances devant l'enseignement, abordé sous l'angle de leurs mécanismes générateurs, de leur évolution et de celle des taux de scolarisation aux différents échelons scolaires. Des résultats engrangés principalement par Blau et Duncan, Girard, Praderie, Jencks et des données empiriques de l'O.C.D.E., ressort dans la formation et perpétuation de l'inégalité des chances, la prédominance évidente de la décision scolaire sur l'héritage culturel. Selon sa position sociale, l'individu effectue un calcul pour évaluer le bénéfice, le risque et le coût de l'investissement scolaire supplémentaire. Poursuivant les perspectives ouvertes par Sorokin en 1927, Raymond Boudon inscrit cette logique de la motivation socialement différenciée dans un modèle dynamique dont l'axiomatique présente le système scolaire « comme un arbre constitué par une suite de points de bifurcation ». Dans cette séquence d'orientations, les différences de motivation ont donc un effet multiplicatif qui explique dans la comptabilité scolaire, les résultats modérés de la démocratisation de l'enseignement.
La troisième partie de l'ouvrage consiste à mesurer l'incidence des inégalités scolaires sur la mobilité sociale. Partant des travaux de D. Glass en 1954, Boudon constate que dans l'allocation des statuts sociaux se conjuguent les principes méritocratiques et de dominance sociale, lesquels se traduisent, selon la position sociale des individus, par « une inégale aptitude à « monnayer » leur niveau scolaire en termes de statut ». La théorie formelle de la mobilité sociale de Boudon repose sur un modèle qui, corrélant position sociale, structure des chances scolaires et structure des chances sociales, aboutit à deux conclusions majeures : l'inégalité des chances scolaires ne produit pas un immobilisme social mais laisse place au contraire à une mobilité sociale relativement importante, tandis que la réduction de cette[...]
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Écrit par
- Éric LETONTURIER : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne
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