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L'INFORMATION (M. Amis)

On se souvient qu'avant sa publication L'Information (trad. F. Maurin, Gallimard, Paris, 1997) avait défrayé la chronique outre-Manche en raison de l'exorbitant contrat négocié par son auteur. Avec son sens de la provocation qui le caractérise, Martin Amis, à qui on devait déjà un roman intitulé Money (1984), proclamait haut et fort son intention de revendiquer pour le livre un statut comparable à celui d'une marchandise soumise comme toutes les autres à la loi du marché. La littérature, c'est la guerre poursuivie par d'autres moyens, à peine plus civilisés : et tous les moyens sont bons pour se procurer l'information du titre capable d'envoyer au tapis le concurrent béni des dieux et adulé du public. Au cynisme de l'aveu quant à la concurrence acharnée que se livrent les auteurs pour décrocher « un objet unique en son genre : l'universel », correspond un traitement romanesque pour le moins particulier : la grotesque rivalité du couple d'écrivains formé par Richard Tull et Gwyn Barry, que tout oppose, à commencer par le lamentable insuccès du premier et l'entêtant triomphe du second, donne lieu à une sordide « anticomédie », dont l'issue, qu'on ne dévoilera pas ici, n'est pas sans évoquer la fable de l'arroseur arrosé.

Mais la féroce satire du milieu littéraire et de ses mœurs n'est qu'un des aspects d'une œuvre aux multiples implications et résonances : publiée en 1995, cette « chronique des pressions auxquelles se trouve confronté le romancier à succès » (où il est aisé de reconnaître des éléments autobiographiques) renoue avec les obsessions chères à l'auteur de London Fields (1989). Les jalousies et rancœurs qui agitent les hommes de lettres apparaissent d'autant plus mesquines et dérisoires qu'elles sont jaugées à l'aune des véritables enjeux, au regard de ces tribulations cosmiques que sont la mort annoncée du soleil et la configuration du ciel qui nous éclaire chaque jour sur l'insignifiance de la place allouée à l'homme. Certains auteurs s'en accommodent, c'est le cas de Gwyn Barry, dont les inoffensives et inactuelles utopies valent consécration de l'univers homocentrique ; d'autres, à l'instar du naufragé du modernisme qu'est Richard Tull, figure déléguée de l'auteur, s'échinent à mettre à l'épreuve les capacités de résistance de leurs lecteurs, en leur ouvrant les yeux sur la correspondance qu'il y a lieu d'établir entre les progrès de l'astronomie et la « courbe descendante » de la littérature. Roman d'une crise personnelle, le difficile tournant de la quarantaine, L'Information témoigne aussi de cette crise de la littérature : à l'instar du climat, les genres y apparaissent « détraqués », la typologie élaborée par Northrop Frye dans son Anatomie de la critique mise cul par-dessus tête, et l'impasse d'une certaine littérature proclamée : non sans un certain courage, l'auteur s'interroge à voix haute sur le devenir d'un genre (le roman) parvenu au stade ultime de sa décomposition, puisque réduit à se prendre soi-même comme pitoyable et pathétique objet.

L'épuisement guetterait-il Martin Amis ? C'est sans compter sur l'un des plus stupéfiants paradoxes du livre. Alors qu'il s'ouvre sous le signe d'une grosse fatigue, « la fatigue du temps vécu et de la ribambelle des jours passés, la fatigue de la gravité, cette gravité qui vous attire jusqu'au centre de la terre », l'énergie déployée par la suite surprend autant qu'elle impressionne. Évidente dans la tension de l'écriture, c'est sans trêve ni répit que l'insatiable boulimie amisienne (quasi autodévorante) se met en scène. Assoiffée de vérité, elle n'a de cesse qu'elle n'ait débusqué l'information à la source, battu le rappel des indicateurs,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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