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L'INGÉNU (Voltaire) Fiche de lecture

« J'ai été changé de brute en homme »

Si le conte philosophique voltairien est un genre fondamentalement composite, L'Ingénu pousse très loin cette caractéristique. On y retrouve bien sûr la parodie du conte traditionnel, avec la fantaisie et les invraisemblances (soulignées facétieusement par l'antiphrase du sous-titre : « histoire véritable ») d'un récit mené au galop, jusqu'au coup de théâtre final. La satire est également bien présente. Elle pointe ironiquement les comportements ou usages ridicules, mais, comme toujours chez Voltaire, c’est surtout la religion qui est visée : l’hypocrisie représentée sans surprise par les jésuites, avec leur pouvoir exorbitant et leur supposée complaisance pour les écarts de conduite ; le fanatisme, incarné par les jansénistes, leur austérité, leur pessimisme et leur extrême sévérité. Au milieu du livre, le récit se fait dialogue philosophique entre l'Ingénu et Gordon, qui occupent leur temps à lire et à discuter théologie, histoire, sciences ou encore théâtre. On touche également au roman historique, l'action se déroulant en 1689, soit près de quatre-vingts ans avant la rédaction du conte. Les allusions au contexte de l'époque abondent – la révocation de l'édit de Nantes (1685), la seconde révolution anglaise (dite Glorieuse Révolution, 1688)... – ainsi que les personnages réels – le père de La Chaise, M. de Saint-Pouange, Louvois... Enfin Voltaire, empruntant au « roman sensible » très en vogue depuis Paméla, ou la Vertu récompensée de Samuel Richardson (1740), teinte son récit d'une couleur pathétique à travers la destinée tragique de Mlle de Saint-Yves. Ce passage du rire aux larmes vient rappeler que le siècle des Lumières est celui autant de la sensibilité que de la raison.

Et c'est bien cette conciliation du cœur et de l'esprit – chacun tempérant l'autre – qui est tout l'enjeu de l'éducation du Huron, transformé peu à peu, au fil des lectures, des rencontres et des expériences, d'« enfant presque sauvage » doté de qualités naturelles mais peu civilisé (c'est-à-dire, dans l'esprit de Voltaire, peu socialisé) en « honnête homme » apte à vivre en société. En érigeant la sociabilité en valeur suprême, l'auteur du Mondain (1736) s'oppose ici très clairement à Jean-Jacques Rousseau et prend ses distances avec le mythe du « bon sauvage ».

Quant à la morale du conte, elle n'est pas très éloignée de celle de Candide : à l'appel au pragmatisme et au travail individuel du « il faut cultiver notre jardin » répondent ici le fatalisme et le scepticisime – clés, sinon du bonheur, du moins d'une forme de sagesse – de la double conclusion de Gordon, ironiquement contradictoire : « Malheur est bon à quelque chose. Combien d'honnêtes gens dans le monde ont pu dire : malheur n'est bon à rien. »

— Guy BELZANE

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