L'INQUISITOIRE, Robert Pinget Fiche de lecture
Le mauvais lecteur
« Lorsque j'ai décidé d'écrire L'Inquisitoire, explique Pinget, je n'avais rien à dire, je ne ressentais qu'un besoin de m'exprimer très longuement. Je me suis mis au travail et j'ai écrit la phrase „Oui ou non répondez“ qui s'adressait à moi seul et signifiait „Accouchez“. Et c'est la réponse à cette question abrupte qui a déclenché le ton et toute la suite. »
La monstrueuse réponse de 500 pages ainsi engendrée est avant tout une réflexion sur la parole. Souvent vide et en pure perte chez Pinget, elle est ici en outre contrainte, comme si raconter sa propre histoire était la pire des épreuves. Celui qui parle est trahi par les mots : son idiolecte fait de mots déformés (« sortir de ses gants », « un homme cédé », « Cubidon ») révèle son inculture, le travail de l'inconscient mais aussi l'humour du romancier. Celui qui parle ne sait rien ou ne sait plus (« Je ne sais plus » et « Je ne me souviens pas » reviennent sans cesse). L'Inquisitoire restitue l'immense désordre lacunaire qu'est la mémoire d'une vie, souvent vaine (les « billets » gardés en « souvenir » sont dépourvus de sens) mais parfois créatrice (certaines questions exhument des souvenirs refoulés).
Ce procès vide, qui évoque Kafka, est aussi celui d'une forme périmée, et cette parodie d'inquisition une interrogation sur le genre romanesque. Pinget crée un monde à la fois cohérent et improbable qui renvoie à la tradition réaliste balzacienne, mais la détourne au moyen d'une intrigue embrouillée à plaisir, qui utilise de manière parodique des situations romanesques traditionnelles.
Feindre ainsi, de la part de l'auteur, d'être invité à écrire par une voix qui l'interroge, c'est enfin et surtout imaginer, réplique après réplique, un lecteur en puissance, pour masquer l'absence de nécessité de l'écriture. Faux naïf et prétendu sourd, l'interrogé est aussi le texte même. Ses manœuvres dilatoires n'ont pour objet que d'attiser chez l'inquisiteur (qui semble avoir le beau rôle, mais est en réalité manipulé) le désir d'une vérité inexistante. Leur relation peut ainsi apparaître comme un dialogue entre l'écrivain et un mauvais lecteur fantasmatique qui lui poserait des questions comme s'il y avait quelque chose à découvrir, ou lui demanderait d'abréger quand il digresse.
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Écrit par
- Christine GENIN : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France
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