L'INTENTION (G. E. M. Anscombe)
L'Intention, de Gertrude Elisabeth Margaret Anscombe (trad. M. Maurice et C. Michon, Gallimard, Paris, 2002) figure au nombre de ces livres qui, malgré le peu d'écho dont ils ont bénéficié auprès d'une large fraction de la philosophie française, n'en ont pas moins contribué à transformer profondément l'état de nos questions. L'auteur s'y s'attaque à un problème dont seuls Aristote et Wittgenstein avaient antérieurement contribué à saisir la difficulté et la spécificité. Ce problème, qui plonge au cœur de l'action humaine, consiste à établir ce qu'est un acte intentionnel ou, plus simplement encore, en quoi consiste une intention. Un examen du langage, comme le suggèrent les premières remarques du livre, montre à l'évidence la variété des usages de ce mot et la nécessité d'en clarifier le sens. L'exigence de clarification passe ici par une analyse des distinctions qui entrent dans la définition du concept et par un examen des énoncés vrais susceptibles d'être formés à propos des intentions de quelqu'un. Cette voie conduit G. E . M. Anscombe à s'attaquer d'abord aux obscurités qui entourent le concept.
Le mot « intention », tel qu'on l'utilise selon les circonstances, peut désigner tantôt un vœu ou une visée, tantôt un caractère de certaines actions, tantôt une prévision. Il peut s'appliquer à un acte de l'esprit tourné vers le passé, autant qu'à une visée tournée vers le futur. On peut aussi prêter à ce qu'il désigne, parfois le caractère de la volonté, parfois celui d'une cause, d'une raison ou d'un motif. Non seulement le même mot est alors utilisé en des sens très variés, mais les problèmes que recouvrent ces usages se révèlent très différents. L'utilisation d'un même mot n'est pas étrangère aux confusions qui entourent le concept d'intention, en particulier au regard de la dissociation que nous avons tendance à opérer entre l'acte où s'illustre une intention et cette intention comme telle. Comme le suggère l'auteur, on est porté à penser que ce qui a lieu physiquement est la dernière chose à considérer, alors qu'il s'agit en fait de la première.
Cette thèse, pour être argumentée, exige que soient distinguées les actions intentionnelles de celles qui ne le sont pas. Pour y parvenir, G. E. M. Anscombe privilégie la question « Pourquoi ? » en s'interrogeant sur les conditions de pertinence permettant de considérer que les actions intentionnelles sont celles qui peuvent se voir appliquer cette question. L'enquête montre qu'il faut y voir « un sous-ensemble des choses connues sans observation », contrairement à l'idée nous poussant à penser qu'il existe des sensations descriptibles séparément et qui serviraient de critère. Une attitude répandue voit dans l'intention une propriété s'ajoutant à nos actes et qui peut en être dissociée. G. E. M. Anscombe, à la suite de Wittgenstein, propose une analyse aussi complète que possible des malentendus que nourrissent les préjugés mentalistes. Elle s'attache en particulier aux notions de « cause mentale » et de « motif », et au rôle des interprétations. Le rôle de la question « Pourquoi ? » apparaît alors clairement : « Le concept d'action volontaire ou intentionnelle n'existerait pas s'il n'existait pas non plus la question „Pourquoi ?“ »
L'idée que l'intention n'est jamais une opération mentale est étroitement liée à la thèse selon laquelle « en gros, l'intention d'un homme c'est son action ». Plusieurs exemples permettent à l'auteur de montrer comment l'intention dans laquelle un acte est accompli peut aussi « avaler » les intentions d'actes antérieurs d'une même série, et de mettre au jour toute[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre COMETTI : professeur honoraire des Universités
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