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L'INVENTION DE LA SCIENCE. LA NOUVELLE RELIGION DE L'ÂGE INDUSTRIEL (G. Carnino)

L’Invention de la science (Seuil, 2015) est un ouvrage issu de la thèse de doctorat en histoire des sciences de Guillaume Carnino, conduite sous la direction de Dominique Pestre, pionnier de l’introduction en France des sciencestudies, dont on reconnaît aisément l’acuité des questionnements qui sous-tendent ce travail. La lecture fait pourtant oublier qu’il s’agit d’un doctorat. Loin de s’apparenter à un exercice d’érudition, le livre offre plutôt une synthèse au cadre large, consacrée à une ample question : l’avènement au xixe siècle de « la science » comme entité « au singulier », pierre fondatrice de la modernité. La réflexion est menée à la manière d’un essai qui, pour circonscrire ce vaste champ historiographique, suit comme ligne de force l’intrication de la science et du politique. Elle met en valeur les voies par lesquelles s’impose l’autorité scientifique qui devient, dans la France de la seconde moitié du xixe siècle, un mode de gouvernement des hommes et des choses.

Science, croyance et République

Sur un sujet propice à la réflexion épistémologique, Guillaume Carnino prend ici le parti d’une approche résolument historienne qui contextualise la notion de « science » au xixe siècle et enquête avec précision sur l’émergence du terme, ses réquisits et les représentations qui lui sont associées. Deux questions liminaires fournissent une trame à cette grille de lecture. La première s’interroge sur le paradoxe du cheminement d’une science qui, productrice par excellence de connaissance et de vérité, devient, au siècle du progrès, l’objet d’une « nouvelle religion » mobilisant les mécanismes de la croyance : tel est l’acte de foi en sa capacité à résoudre dans l’avenir toutes les « énigmes de l’univers », selon les termes d’une célèbre controverse de l’époque. La seconde ligne directrice de l’essai met en discussion, à la suite des travaux classiques de l’historien Claude Nicolet, les interactions entre l’affirmation croissante de la puissance sociale, économique et symbolique de la science, et l’ancrage politique du régime républicain en France.

Guillaume Carnino questionne ainsi le processus démocratique à l’œuvre dans l’émergence de la science comme nouvel acteur social. Et il s’interroge, dans le sillage de François Furet, sur le rôle de la science dans le cycle révolutionnaire qui, ouvert dans les années 1770, aboutirait au régime républicain des années 1880 : cette IIIe République qui – disait Furet –, devenue fille aînée de l’histoire, désormais « s’identifie à l’idée la plus puissante dans l’imaginaire des hommes du xixe siècle, la seule qui puisse balancer celle de la religion : celle de la science ». Sur ce thème, en définitive, c’est bien une thèse stricto sensu que Guillaume Carnino défend : « Retracer l’émergence du vocable de science, qui, par principe, segmente le social entre ceux qui ne savent pas et ceux qui décident, permet de prendre conscience que ce problème fondateur pour la démocratie a trouvé historiquement une solution idoine : la science sert à exclure du jeu démocratique. » Comment la démonstration en est-elle conduite ?

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Écrit par

  • : professeure d'histoire de la médecine et de la santé à l'université de Strasbourg

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