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L'INVENTION DE LA SCIENCE. LA NOUVELLE RELIGION DE L'ÂGE INDUSTRIEL (G. Carnino)

Le progrès, un jeu de dupes ?

Le panorama de l’émergence d’une science hypostasiée et fondatrice du politique est dressé en quatre temps. La première partie de l’ouvrage s’intéresse à l’évolution sémantique de la notion de science de 1800 à 1860. Partant de la philosophie naturelle, le terme prend ensuite le visage de « sciences » plurielles, avant que ne s’impose vers 1850 l’idée d’une science singulière et naturalisée. Y est aussi examinée, dans l’ordre des représentations, l’édification controversée de la figure historique de Galilée, qui en vient à incarner cette science moderne dont il est fait le précurseur, le héraut et le prophète.

La deuxième étape se consacre aux diverses voies par lesquelles la nouvelle autorité que campe la science se rend publique, devenant un enjeu de société majeur. Le basculement par lequel la science, figure du progrès, se transforme en croyance collective pour de nouvelles générations qui accèdent à l’éducation est central dans ce processus, où l’antagonisme entre religion et science constitue un ressort décisif. De là, l’importance de l’infusion de l’idée de science dans la société, et des moyens, de la vulgarisation aux expositions universelles, par lesquels elle nourrit les discours concernant le peuple et le bien public.

La troisième partie du livre – peut-être la plus originale – examine les fondements matériels de la puissance que la science acquiert : le lien entre science et industrie est ici essentiel pour donner une assise à l’investissement des élites administratives et politiques dans ce qui deviendra plus tard la « technoscience ». Avec la technologie en effet, le savoir scientifique nouveau s’ancre dans un gigantesque dispositif matériel, fondé sur l’étroite adéquation entre la reproductibilité caractéristique du fait scientifique et la réplication industrielle. Guillaume Carnino livre en particulier une fine analyse de l’élaboration de la notion de « science pure », si importante dans la construction de la mythologie savante.

Enfin, le dernier volet de ce parcours est centré sur l’émergence de la science comme force politique de premier ordre. L’auteur examine les usages que la République, dans une dialectique de l’ordre et du progrès, assigne à la pédagogie de la science. Les effets pervers de l’industrialisation suscitent des résistances au progrès, que le recours à l’expertise fondée sur l’autorité des savoirs scientifiques permet bien souvent de délégitimer en récusant savoirs et acteurs profanes. Guillaume Carnino y voit le point d’origine de ce qu’il désigne comme la dissolution de la démocratie dans la technocratie. L’interprétation conclusive est sévère pour cette période qui, si elle a pris le progrès pour idole, ne l’a fait qu’au terme, selon son expression, d’un « jeu de dupes ayant accouché de la science ».

— Anne RASMUSSEN

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Écrit par

  • : professeure d'histoire de la médecine et de la santé à l'université de Strasbourg

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