L'ODEUR DE LA PAPAYE VERTE, film de Tran Anh Hung
La condition de la femme vietnamienne
L'ambiance vietnamienne est particulièrement envoûtante alors que le film a été tourné dans les studios de la S.F.P. à Bry-sur-Marne. L'histoire se déroule dans une ruelle et dans la maison de la première famille, puis dans celle du pianiste. Le décor de ces deux intérieurs est d'une grande beauté, en particulier celui de maison de l'artiste, aux couleurs judicieusement agencées. L'esthétique du Goût de la papaye verte inaugure en 1993 les valeurs plastiques qui vont triompher une dizaine d'années plus tard avec les films de Wong Kar-wai, et notamment In the Mood for Love (2000).
Toutefois, Tran Anh Hung opte pour un récit linéaire, strictement chronologique, même lorsqu'il l'interrompt par une ellipse assez brutale d'une dizaine d'années. La musique choisie est composée par Tôn-Thât-Thiêt. Elle intervient constamment dans le récit, dans la mesure où le père est lui-même musicien et, plus encore, parce que la mise en scène est très descriptive et que les personnages parlent peu. Mui, la jeune héroïne est d'ailleurs caractérisée par son mutisme. Elle ne prononce que quelques phrases dans tout le film, ce qui rend ce dernier plus « international ». L'atmosphère extrême-orientale passe donc par la langue, la musique, son instrumentation, la lenteur du récit, et plus encore, par les décors et les costumes des protagonistes.
Le film est d'une grande sensualité, affichée dès son titre. Le Vietnam est restitué par ses odeurs, ses sons et le goût de ses aliments. Mui prépare les repas, épluche une papaye, teste ses grains du bout des doigts. Elle alimente un insecte et le film alterne systématiquement de grands panoramiques latéraux, en hommage aux maîtres japonais tels Ozu et Mizoguchi, et des gros plans de fruits, d'objets, d'étoffes, d'insectes. La présence d'un grillon en cage symbolise le foyer, mais cette métaphore traditionnelle est parfaitement intégrée au système référentiel du film. Tout est construit sur le regard que Mui porte sur le monde extérieur.
Bien entendu, le film dénonce l'exploitation d'une enfant qui travaille dès l'aube jusqu'à l'épuisement, tard dans la soirée. Mais cette dénonciation reste discrète. De même, la guerre coloniale, la crise du régime restent hors champ et la seule intervention du monde extérieur n'est manifestée que par des bruits de moteurs d'avion.
La dernière partie relève plutôt du conte de fées. Le beau pianiste, qui interprète des partitions occidentales, tombe amoureux de la discrète et très jolie servante, lui apprend à lire et l'épousera enceinte.
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Écrit par
- Michel MARIE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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