L'ŒIL MOTEUR. ART OPTIQUE ET CINÉTIQUE 1950-1975 (exposition)
L'exposition organisée en 2005 par le musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg sur l'art optique et cinétique de 1950 à 1975 s'inscrit dans la suite des manifestations Aux origines de l'abstraction au musée d'Orsay, en 2003-2004, et Sons et lumières au Centre Georges-Pompidou, en 2004, à Paris.
Il semble donc que s'élabore l'étude d'un champ jusqu'alors peu considéré dans l'histoire de l'art de notre temps, composé de pratiques relevant moins de l'ordre classique des beaux-arts que de la notion d'art total. Les mêmes historiens de l'art s'y retrouvent, commissaires et signataires de textes dans les catalogues. L'approche de Marcella Lista, Arnauld Pierre et Pascal Rousseau souligne le présupposé d'une concordance des sens qui a permis aux artistes de passer d'un médium à un autre.
Après « l'œil solaire » et « l'œil musical » à Orsay, L'Œil moteur à Strasbourg se décline encore en trois parties : « l'œil corps », « l'œil computer », « l'œil sonore ». Litanie, ou chant du cygne d'un mode de représentation pour lequel l'œil était l'organe majeur à l'œuvre. Peu à peu, l'habitude du regard se trouve relayée par un appel à la participation active du spectateur, convoquant d'autres sens, dont le toucher et l'ouïe.
Le premier symptôme de cette transformation est la recherche d'une mise en mouvement de l'œil, par les tableaux eux-mêmes, qui s'animent lorsque le spectateur les touche ou se modifient quand il se déplace. Cruz-Diez expérimente des effets de moiré en superposant des trames de couleurs différentes. Soto invente les Pénétrables. Le Parc propose de marcher sur des Dalles mouvantes (1964) qui claquent sous le poids du corps.
Cette tendance à convier le spectateur à l'action mène à la création d'environnements spectaculaires. En 1964-1968, Alviani tapisse les surfaces d'une pièce et en fait disparaître les angles. Le Labyrinthe (1963-2001) du GRAV (Groupe de recherche d'art visuel), composé par Le Parc, Morellet, Yvaral et Garcia-Rossi, invite à toutes sortes de manipulations dans un espace aussi ludique qu'imaginatif : de jeux de lumière en sons déclenchés en tournant des manivelles, la perception de chacun se trouve déstabilisée, jusqu'à l'éclat final de quatre panneaux formés de tubes de néon.
L'op art (optical art), recherche d'un effet cinétique composé selon des lois optiques, est défendu dès 1955 par la galeriste parisienne Denise René, qui organise alors une première exposition collective intitulée Le Mouvement. L'op art sortira bientôt de l'espace de la galerie pour envahir la cité – avec les panneaux d'Yvaral, alias Vasarely, ou les produits dérivés des motifs de Bridget Riley. La recherche d'une participation physique du spectateur ne peut être séparée de la visée d'un art social, d'un art pour tous où technologie et cybernétique serviraient à la création d'un environnement urbain interactif.
En 1956, Nicolas Schöffer crée Cysp I. Munie d'un cerveau électronique et de capteurs audio, la sculpture d'acier aux allures de robot De Stijl est capable d'une infinité de parcours. La variable fondamentale, commune à l'ensemble des créations de la même espèce, est la recherche d'un temps de l'œuvre qui corresponde à celui de la perception du spectateur. Cette préoccupation se lit dans L'Art de la fugue (1966) d'Agam ; elle se voit et s'entend dans la mobilité d'éléments lumineux accordée à la musique de l'Optophonium (1961) de Goepfert, en hommage à l'Optophone du dadaïste Raoul Hausmann (exposé à Beaubourg), ou encore au piano optophonique inventé en 1917 par Baranoff-Rossiné (montré à Orsay).[...]
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Écrit par
- Corine PENCENAT : maître de conférences à l'université de Strasbourg-II-Marc-Bloch, docteur en sémiologie de l'art
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