Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

L'ŒUVRE, Émile Zola Fiche de lecture

« La lutte contre l'ange »

L'Œuvre est-il un roman à clef ? Oui, si l'on admet que chaque personnage est conçu à partir de plusieurs modèles. Claude et Sandoz, les deux amis d'enfance, rappellent naturellement Cézanne et Zola : le roman aurait d'ailleurs achevé de ruiner l'amitié entre les deux hommes. Pourtant, le dessein de l'auteur, ici, n'est pas d'encenser ou de condamner tel ou tel, mais de témoigner de la révolution picturale des années 1860-1870, dont il a été un acteur privilégié. Et Claude, qui est avant tout un naturaliste, évoque finalement autant Manet (son Plein air ressemble au Déjeuner sur l'herbe) que Cézanne. Quoi qu'il en soit, l'échec du peintre n'est pas celui de l'impressionnisme, comme on l'a parfois reproché à Zola, ni d'aucun courant pictural en particulier. La trajectoire tragique de Claude Lantier est avant tout celle d'un homme marqué par son histoire personnelle (« névrose se tournant en génie »), placé dans un milieu et à une époque propices aux dérèglements : « les nerfs se détraquent, la grande névrose s'en mêle, l'art se trouble », dit Bongrand.

Quant à l'identification de Zola à Sandoz, elle mérite également d'être nuancée. Si le rapprochement n'est évidemment pas faux, le romancier ne s'est pas moins projeté dans Claude lui-même : « Avec Claude Lantier, écrit-il, je veux peindre la lutte de l'artiste contre la nature, l'effort de la création dans l'œuvre d'art, effort de sang et de larmes pour donner sa chair, faire de la vie : toujours en bataille avec le vrai et toujours vaincu, la lutte contre l'ange. En un mot, j'y raconterai ma vie entière de production, ce perpétuel accouchement si douloureux... » Et si l'on songe qu'en 1886 Zola est un auteur célèbre, peut-être faut-il reconnaître son véritable double dans la figure de Bongrand, l'artiste consacré miné par un succès auquel il a sacrifié sa vie et qu'il se doit toujours au moins d'égaler, faute de « culbuter dans la fosse commune ». L'Œuvre offre ainsi l'intérêt de nous faire découvrir une facette de Zola trop souvent occultée par la triple image du romancier à succès, de l'intellectuel engagé et du théoricien convaincu : celle d'un créateur tourmenté, en proie au doute et au découragement, proche de Frenhofer, le héros du Chef-d'œuvre inconnu (1832), de Balzac, et sacrifiant comme lui sa vie à l'Art, vision toute romantique qui peut surprendre. En témoignent ces mots découragés de Sandoz devant la tombe de Claude : « Puisque nous ne pouvons rien créer, puisque nous ne sommes que des reproducteurs débiles, autant vaudrait-il nous casser la tête tout de suite », mots que ne suffit pas tout à fait à effacer l'ultime sursaut de l'écrivain, quelques lignes plus loin : « Allons travailler ».

— Guy BELZANE

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

<it>Émile Zola</it>, É. Manet - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Émile Zola, É. Manet