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L'OMBILIC DES LIMBES, Antonin Artaud Fiche de lecture

L'impossible lucidité

La suite de textes qui constituent le recueil manifestent trois ou quatre traits communs, que vient contredire comme un rappel aux exigences de la vie une grande diversité de formes. Un récit (Une grande ferveur pensante et surpeuplée portait mon moi comme un abîme plein), trois poèmes en vers (Avec moi dieu le chien, et sa langue... ; Poète noir, un sein de pucelle... ; Les poètes lèvent des mains...), trois descriptions (Description d'un état physique ; Un ventre fin. Un ventre de poudre ténue... ; Il y a une angoisse acide et trouble...) s'articulent à deux lettres privées (Docteur,... ; Cher Monsieur,...) et une lettre publique (À Monsieur le législateur de la loi sur les stupéfiants), à un bref essai en forme de parallèle sur Paolo Uccello et « Antonin Artaud en gésine » ; enfin une scène dramatique dialoguée intitulée « Le Jet de sang » vient clore l'ensemble sur ce mot : rideau. Or ce qui frappe, c'est précisément la continuité du discours ici mis en jeu, la cohésion et la cohérence d'un propos qui touche partout et toujours à l'expérience du corps, qui s'ouvre à l'épreuve déchirante du dehors comme à la vérité de la peinture et qui désigne l'angoisse comme foyer central, au nom d'une lucidité sans appel : « Lucidité ou non lucidité, il y a une lucidité que nulle maladie ne m'enlèvera jamais, c'est celle que me dicte le sentiment de ma vie physique. Et si j'ai perdu ma lucidité, la médecine n'a qu'une chose à faire, c'est de me donner les substances qui me permettent de recouvrer l'usage de cette lucidité. » L'écrivain en rupture des Tarahumaras, le désespéré de Rodez, le suicidé de la société dont la modernité littéraire et philosophique a construit à la fois la figure théorique déterminante et l'hagiographie sans espoir, trouve ici, à l'orée des années surréalistes, quelques-unes de ses préfigurations les plus impressionnantes, en des formules qui sont aujourd'hui tenues par de nombreux poètes pour fondatrices : Artaud poète de sa poésie qui refuse d'être le poète du poète, « de l'autre côté de tous ses verres mentaux », « sismographe humain » qui « pense toujours à un taux inférieur ». « Le sol est tout conchié d'âmes/ et de femmes au sexe joli » : depuis Rimbaud, sans doute, on n'avait jamais assisté à pareille extraction ombilicale, à cet accouchement des limbes, jamais on n'avait vu un livre montrer aussi clairement un corps, opéré vivant de la poésie.

— Pierre VILAR

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne

Classification

Média

Antonin Artaud dans <it>La Passion de Jeanne d'Arc</it> - crédits : Henry Guttmann/ Getty Images

Antonin Artaud dans La Passion de Jeanne d'Arc