L'OPÉRA DE QUAT'SOUS (mise en scène de T. Ostermeier)
Entre théâtre et cabaret
L’intrigue se déroule à Londres, dans le monde du crime. Face au chef de gang Macheath, Jonathan Jeremiah Peachum s’enrichit en louant à prix fort les rues de la capitale aux mendiants. Sa fille Polly va épouser Macheath en secret, alors que ce dernier est déjà marié avec Lucy, la fille du chef de la police « Tiger » Brown, vieil ami de Macheath. Sous la pression de Peachum, furieux, « Tiger » Brown trahit Macheath et le fait arrêter, alors que celui-ci a rejoint la prostituée Jenny, figure du Destin qui précipite sa fin. Mais, au moment où le prisonnier va être pendu, coup de théâtre : la reine décide de le gracier, et même de l’anoblir et de le doter d’une rente à vie. Véritable deus ex machina qui met un peu plus en évidence l’esprit de dérision qui traverse toute l’œuvre.
Dans Lecture de Brecht (1960), Bernard Dort voyait dans L’Opéra de quat’sousun spectaclebaroque, surchargé, voluptueusement compliqué, construit sur la parole, la déclamation et le chant. De fait, sans formuler de jugement moral ni souligner les enjeux dramatiques, Brecht décrit un monde où les criminels se contentent de mimer le mode de vie bourgeois des spectateurs. L’hypocrisie de cette société est particulièrement dénoncée dans le célèbre deuxième finale « De quoi l’homme vit-il ? », avec son refrain : « D’abord, la graille – et la morale, après. »
Sur le plateau, on découvre un univers interlope de malfrats et de bandits, de prostituées et de proxénètes, un monde louche organisé à ciel ouvert, rythmé par la musique grinçante et railleuse de Kurt Weill, et les aphorismes teintés d'anarchisme du jeune Bertolt Brecht. Ostermeier propose une parodie ludique de l’opéra quand il est confronté à l’esprit du cabaret : lancers de tartes à la crème évoquant le cinéma burlesque, chutes et glissades clownesques, avant que les acteurs rejoignent leur micro sur pied, disant le texte puis chantant les parties lyriques.
Marie Oppert (Polly) impose d’emblée sa jeune présence intense, tant comme comédienne que comme chanteuse. À l’orée du spectacle, Claïna Clavaron (Lucy), figure glamour avec force paillettes, chante la Complainte de Mac-la-Lame. Et, irrésistiblement comique, Christian Hecq (Peachum) entonne, dans un expressionnisme très personnel, sa partition delaChanson de la parfaite inutilité de l’effort humain, formant avec Véronique Vella (Célia, la femme de Peachum) un duo cocasse. L’espiègle Benjamin Lavernhe (« Tiger » Brown, en alternance avec Stéphane Varupenne), chef de police corrompu, tire un profit astucieux de la situation. Mais Birane Ba (Macheath), canaille policée et embourgeoisée, ne terrifie guère, tandis qu’Elsa Lepoivre (Jenny) passe du parlé au chanté avec une aisance fluide.
Les trois actes de la pièce s’achèvent par un grand finale dont le regard politique nihiliste qu’il porte sur le monde et l’ordre social souligne notre sentiment d’impuissance à changer la vie des hommes.
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Écrit par
- Véronique HOTTE : critique de théâtre
Classification
Média