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L'ORESTIE (mise en scène O. Py)

Unique trilogie héritée d'Eschyle, L'Orestie, œuvre fondatrice du théâtre, ne cesse d'interroger le théâtre et ses metteurs en scène. On se souvient, en France, de Bernard Sobel, célébrant à travers elle la naissance de la démocratie dans les années 1980. On n'a pas oublié la fête somptueuse et sauvage qu'en avaient tirée Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil sous le titre des Atrides, ni la version épurée et vivante de Jean-Pierre Vincent menée à bien avec les élèves de l'E.R.A.C. (École régionale d'acteurs de Cannes) ou, peu avant, celle de Georges Lavaudant, âcre et dépouillée, au Théâtre national de l'Odéon.

En 2008, c'était au tour d'Olivier Py de se confronter à cette œuvre fondatrice, dans ce même théâtre, dont il venait de prendre la direction. Durant plus de six heures (entractes compris), il a proposé une mise en scène incandescente, toute de fureur et de poésie, brutale ou lyrique, en parfait accord avec le texte dont il a signé lui-même la version française, fidèle à sa propre écriture (Actes sud Papiers). Présent dès le prologue – « veilleur » perché au faîte du plateau pour introduire l'action –, il a conduit le cycle tambour battant, en faisant un mélange de passion théâtrale et d'opéra des ténèbres enchâssé dans un décor hors du temps – une architecture de structures métalliques évoluant au fil des épisodes traités sur le mode de la saga.

Le premier d'entre eux, Agamemnon, commence au lendemain de la chute de Troie. Les Grecs ont vaincu. Chacun rentre dans ses foyers. À peine le roi Agamemnon a-t-il foulé le sol de sa cité d'Argos que sa femme Clytemnestre l'assassine, pleine de rancœur contre cet époux qui a sacrifié leur fille Iphigénie sur l'autel des dieux. Les Choéphores rapportent comment Oreste, à l'appel de sa sœur Électre, venge Agamemnon, leur père à tous deux, en devenant le meurtrier de Clytemnestre et d'Égisthe, son amant. Les Euménides s'ouvrent sur la fuite du matricide, pourchassé par les Furies, et se termine par son acquittement devant le tribunal des hommes institué par Athéna. Un cycle s'achève : celui qui mène des temps de la vendetta à une ère nouvelle où la cité se gouvernerait selon ses propres lois.

Cris, douleurs, espérance, terreur de l'homme perdu face aux dieux et à un destin qui lui échappe... Sur le plateau, c'est tout le jeu des pulsions et des passions qui se déchaîne, dans l'alternance du trivial et du tragique, du grand-guignolesque et du cérémonial de l'eau et de feu. Sans doute, comme dans tout le théâtre d'Olivier Py, cette démesure baroque n'évite pas, parfois, les pièges de l'excès. Mais il est des images d'une justesse superbe, d'une force prégnante : ici, le drap rouge qui s'étale le long d'un escalier à la hauteur impressionnante ; là, le passage obsédant du fantôme d'Iphigénie, emmaillotée dans un collant couleur sang, qui se prolonge en une traîne sans fin ; plus loin encore, les hommes à tête de chien sortis de quelque enfer, un cheval noir qui surgit, ou le chœur regroupé au final dans une arène de métal éblouissante... La vision la plus puissante demeure celle d'Oreste apparaissant, à l'instant de tuer sa mère, nu comme un petit enfant.

Le rôle est tenu par Nazim Boudjenah, fragile et perdu, instrument d'un destin trop lourd pour lui. Sa mère, c'est Nada Strancar. Celle qui fut déjà Clytemnestre avec Bernard Sobel retrouve ce personnage avec une maturité et une puissance qui ouvrent sur des abîmes, dans la détermination froide comme dans les pleurs. Il faut citer encore Miloud Khetib (le Coryphée), Bruno Sermonne (le Messager), Michel Fau (Égisthe), Philippe Gérard (Agamemnon), Céline Chéenne et surtout Anne Benoît, Érinye qui apporte une présence effroyablement[...]

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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