L'ORGANISATEUR, Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon Fiche de lecture
Science et industrialisme : les réseaux comme fondement du lien social
Le « système industriel et scientifique » sera enrichi et développé par Saint-Simon dans diverses contributions (L'Industrie, 1816-1818 ; Du système industriel, 1821-1822 ; Catéchisme des industriels 1823-1824), écrites parfois en collaboration, avec Augustin Thierry ou Auguste Comte. Cherchant à construire une « physiologie sociale », Saint-Simon est parfois considéré, rétrospectivement, comme l'un des pères fondateurs de la sociologie, du socialisme ou de la « technocratie industrielle ». Au sein de ce large héritage, deux caractéristiques essentielles peuvent être dégagées.
Premièrement, le système saint-simonien redéfinit les classes sociales en envisageant une classe universelle, industrielle. L'unité de cette classe, historicisée, est obtenue par le travail – qui est non seulement un droit mais aussi une obligation et un besoin. Ainsi la distinction fondamentale pour Saint-Simon réside entre l'industrie (qui englobe toutes les formes de travail) et l'oisiveté. Dès lors, cette opposition tend à effacer les antagonismes de classes, ce qui fut perçu par les socialistes marxistes comme l'une des principales faiblesses du système saint-simonien. À partir des Manuscrits de Karl Marx en 1844, c'est le clivage entre travail et capital qui s'imposera et qui s'illustre déjà dans les cas de luddisme et de revendication ouvrière émergeant à partir de 1830. L'existence d'une classe universelle dans l'optique de Saint-Simon implique de profondes modifications dans la façon d'envisager le politique. Considérée comme une « théorie scientifique », la politique devient la « science de la production » : « l'administration des choses » se substitue au « gouvernement des hommes ». Cette éviction du politique n'est cependant pas sans danger puisque Saint-Simon néglige toute référence à la liberté politique : sans normes juridiques visant à protéger le respect de droits fondamentaux, un État « technocratique » et autoritaire peut alors s'imposer.
La deuxième caractéristique du système réside dans la « validation scientifique » d'un industrialisme assurant une cohésion sociale universelle. Saint-Simon reprend l'idée, récurrente dans la première partie du xixe siècle, d'un ordre naturel ordonné, rationnel et cohérent : la loi newtonienne de la gravitation universelle régit l'ensemble des phénomènes physiques, sociaux et moraux. Informé des connaissances biologiques et scientifiques de l'époque, Saint-Simon s'intéresse en particulier aux « fluides » : parmi les projets industriels, la priorité est donc accordée à ceux qui facilitent la circulation et les échanges. Cette dimension géopolitique se prolongera avec les ingénieurs ou disciples saint-simoniens (Ferdinand de Lesseps, Michel Chevalier, les frères Jacob-Emile et Isaac Pereire) qui mettent l'accent sur les réseaux (matériels, financiers). Il s'agit ainsi pour l'héritage industrialiste saint-simonien de favoriser toute forme de développement industriel qui constitue un facteur puissant de cohésion sociale en permettant une pratique coopérative et solidaire.
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Écrit par
- Annie SORIOT : chercheur au G.R.E.S.E. (Groupe de recherches épistémologiques et socio-économiques), université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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