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L'ORIGINE ROUGE (V. Novarina)

L'œuvre de Valère Novarina se signale par son inventivité. L'écrivain possède une langue débordante de sève, fluide mais musclée, ressassante mais protéiforme, obsessionnelle mais inlassablement réinventée. On peut y entendre l'écho des créations verbales chères à Artaud, Tardieu ou Joyce, et de vertigineuses généalogies de la Bible. Cette langue, appelons-la le novarinien. Le théâtre la hante, ce qui n'est pas évident de prime abord. En témoigne la difficulté qu'a eue Novarina à accéder à la scène. En effet, il lui a fallu dix ans pour être vraiment joué dans cette langue-là. Ce n'était pas le cas en 1974 avec L'Atelier volant que met en scène Jean-Pierre Sarrazac, ni en 1976 avec Falstafe d'après Shakespeare, une commande de Marcel Maréchal – des pièces de facture encore traditionnelle. Les éditions Jeanne Lafitte et Christian Bourgois dès 1978, puis P.O.L., l'ont publié, sans qu'aucun metteur en scène ou acteur trouve matière à théâtre dans ce qui était donné pour « romans ». Parallèlement à son travail d'écriture, Novarina peint et dessine, autre manifestation de sa créativité qui a fait de lui le décorateur de ses pièces, qu'il en soit ou non le metteur en scène.

André Marcon, en créant aux festivals d'Avignon et d'Automne le Monologue d'Adramelech (1985), puis Le Discours aux animaux (1987) a, le premier, fait entendre sur une scène le novarinien. Cette langue est le dénominateur commun de toutes ses pièces, sa signature ; le mot « style » serait trop faible. Il s'agit d'une recréation.

Le matériau, riche et varié, a des sources multiples. Né d'un père architecte savoyard et d'une mère comédienne genevoise, Valère Novarina a passé son enfance et son adolescence à Thonon. Le dialecte local est sa langue maternelle tout comme le français, d'autant qu'il savoure le suc des mots et les tournures populaires. Ses études ont fait de lui un bon latiniste, philosophie et philologie lui ont ouvert de multiples horizons langagiers. Très tôt, il collectionne les mots, non sans les avoir travaillés, déformés et reformés, rendus plus goûteux. D'où, pour les prendre en charge sur scène, l'invention d'un nombre infini de noms : l'Anthropoclaste, le Bonhomme Nihil, l'Illogicien, Jeanjean l'incarnation... qui seront ses porte-parole, et jamais des personnages. De quoi sont-ils chargés ? Pas du tout de s'engager dans une action ou de mener une intrigue. Ils sont là pour « des actes », soit entrer, sortir et, dans l'entre-deux discourir en de longs monologues dont l'énumération est le moteur : généalogies proliférantes, noms de fleuves, noms d'oiseaux. Les dialogues sont de sèches répliques, définitives comme un couperet de guillotine. Tout cela dans l'affairement de gens cherchant leur place en s'essayant à tout. Il n'y a ici d'autre progression que la montée en puissance de « la parle », comme dit l'auteur. Car ce qui fait la pièce, ce sont les mots « qui n'expriment pas, qui hallucinent », se reproduisent en bourgeonnant ou en prenant le large : « Vidange et louange au Dieu créateur... Louange au Deux, aux Lieux, au Chien Borgne ! »

L'Origine rouge, créée au festival d'Avignon 2000, est la quatrième « vraie pièce » de Valère Novarina, les autres étant des adaptations de publications antérieures. Il en est l'auteur et le metteur en scène. Du titre, il se borne à dire que c'est déjà celui d'un de ses tableaux et qu'il aime le rouge. La scène, où tout rougeoie, est là pour en témoigner. On peut y voir une allusion à la fontaine de sang de son Opérette imaginaire, qui l'obsède. Mais « l'origine rouge », c'est la naissance, événement traumatisant. La pièce le ressasse.[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de Regards et des revues Europe, Théâtre/Public, auteur d'essais sur le théâtre

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