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L'UNIVERS POÉTIQUE DE VILHELM HAMMERSHØI 1864-1916 (exposition)

L'œuvre du Danois Vilhelm Hammershøi a fait l'objet à Paris d'une rétrospective aussi remarquée que le fut peu le séjour de six mois que fit le peintre dans cette même ville, en 1891-1892. Son chef-d'œuvre de jeunesse, Portrait d'une jeune fille (1885), exposé chez Durand-Ruel, le grand marchand de peinture moderne, ne rencontra alors guère d'écho ; le peintre ne fit la connaissance d'aucun des maîtres français, vit à peine leurs œuvres, mais fréquenta assidûment le Louvre : sa seule œuvre parisienne importante est l'étrange paraphrase d'un relief archaïque de Thasos, Un bas-relief grec (1891), où les figures estompées par l'usure de trois jeunes femmes élégantes qui s'avancent à pas comptés donnent lieu à une étude subtile de lumière, dans un camaïeu de gris qui annonce le style ultérieur du peintre. Cette manière de tourner le dos à l'effervescence parisienne témoigne, chez un jeune artiste, d'une très forte personnalité ; sa brève carrière allait montrer en effet qu'on peut être un grand peintre au début du xxe siècle sans rien devoir à Paris.

Pendant les vingt-cinq ans qui suivent, quelques séjours parfois assez longs en Italie et à Londres n'orienteront pas davantage son art : Hammershøi développe dans le vase clos d'une existence sans histoire à Copenhague une œuvre singulière, qui procède d'une tradition assumée sans détour, celle du métier « classique » au service de sujets qui sont ceux de la peinture hollandaise du xviie siècle. Si certaines toiles de ses débuts confinent à l'abstraction (Bâtiment de ferme, 1883 ; Étude : une boulangerie, 1889, déjà présentée deux fois à Paris, lors de l'Exposition universelle de 1889 et, en 1987, dans la belle exposition du Petit Palais, Lumières du Nord), c'est par l'originalité du point de vue et la recherche d'effets chromatiques dans une gamme d'emblée restreinte de tonalités mates : Hammershøi restera toujours un serviteur fidèle du visible, mais épuré par une rigueur de plus en plus exigeante.

Hormis deux tentatives sans suite de grandes compositions à figures multiples – l'une, Artémis (1893-1894), qui constate l'impossibilité d'assumer encore la « peinture d'histoire », fût-ce dans une ambiance symboliste ; l'autre, Cinq Portraits (1901-1902), qui transpose dans un luminisme ténébreux, presque fantastique, le thème de la réunion d'artistes, illustré à Paris par les célèbres tableaux de Fantin-Latour – Hammershøi se cantonne dans une figuration intimiste où l'économie des moyens picturaux confère au motif, dépouillé de toute anecdote, une résonance étrange.

Les portraits – au demeurant moins rares que ne le donne à penser l'exposition – manifestent plus que tout autre thème la contradiction qu'exprime cette peinture : la présence d'une absence. Que le visage soit partiellement absorbé par l'ombre, comme dans le Portrait de D.J. Salter (1901), ou qu'il se détache d'un environnement chromatique assourdi, comme dans les deux variantes du portrait de la femme de l'artiste (1907), tous participent de la même ambiance taciturne : la personnalité semble s'être retirée de son apparence, qu'elle a cessé d'animer. Parler de mélancolie serait superficiel : le trouble à l'œuvre ici est plus profond, essentiel sans doute, puisqu'on le retrouve à différents degrés dans les thèmes de prédilection de Hammershøi.

Ses tableaux les plus étonnants peut-être, tant ils s'éloignent parfois de la pratique ordinaire, sont ses paysages sans figures ni pittoresque, parfois presque sans motif, où quelques éléments de nature anonymes se résorbent dans un phénomène primordial : des arbres ou des buissons dans la lumière, des champs dans l'espace.[...]

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