LA 317e SECTION, film de Pierre Schoendoerffer
Authenticité, engagement, émotion
Si son auteur est singulier, ce film est un météore, dans un cinéma français d'une grande frilosité pour ce qui est de la politique, spécialement la politique coloniale (on attend toujours, malgré l'honorable Avoir vingt ans dans les Aurès (1972) de René Vautier, un équivalent sur la guerre d'Algérie). Frappe d'emblée l'absence d'hypocrisie : la guerre est fascinante, parce que l'« épreuve du feu » est un rite de passage à l'âge d'homme ; mais la guerre, surtout coloniale, est cruelle, sale, voire dégoûtante. Les anecdotes égrenées par Willsdorf sur le ton de la plaisanterie sont glaçantes, et ce qui est montré des relations de l'armée française aux khmers, effrayant.
Les portraits sont d'un réalisme rare : militaires professionnels, le « malgré-nous » Willsdorf, passé de la Wehrmacht au corps expéditionnaire français, le jeune lieutenant idéaliste que la réalité ne cesse de blesser tel un enfant, le caporal khmer qui connaît les ruses et n'a pas d'états d'âme ; soldats d'occasion, chez qui le civil perce sous l'uniforme. En même temps, rien qui vienne « nourrir » ces portraits, comme le cinéma de guerre américain n'eut de cesse de le faire : rien sur la vie sentimentale de ces héros, sur leur enfance ni sur leurs amours. L'ennemi, lui, n'a pas de visage : ce sont les colonnes interminables des soldats « rouges », telles des fourmis voulant vous dévorer, ou la voix métallique et anonyme des haut-parleurs de la propagande. Un drame du pur comportement, sans épanchements ni confidences. La touche autobiographique est évidente (et n'est pas pour rien dans l'attrait du film) ; pour n'avoir pu aussi bien la reproduire, Schoendoerffer n'a pas réussi, dans ses films suivants, estimables mais guindés, à nous persuader que ses personnages sont nos semblables, nos frères.
Comme tout film de guerre, celui-ci exalte la fraternité des guerriers. Le couple du sous-officier de métier, rompu aux horreurs et sachant leur opposer sa tête froide, et du jeune blanc-bec qui prend ses décisions sur des coups de tête, touche malgré la convention ; leur relation, qui hésite entre l'amitié (le passage au tutoiement, lorsqu'il devient clair que tout est perdu) et la filialité, n'a d'ailleurs rien d'équivoque. La guerre n'est pas une aventure, mais bien une épreuve, et en cela comme sous beaucoup d'autres aspects, le film se distingue du cinéma américain, où les films d'hommes (guerre, western) font rarement l'économie de l'homoérotisme, de la sentimentalité, de l'anecdote. Si ce film peut être jugé supérieur à certains de ses grands prédécesseurs, comme les Aventures en Birmanie (Objective Burma, 1946) de Raoul Walsh, ce n'est donc pas seulement qu'il a été tourné sur place ; ce n'est pas seulement qu'il a été écrit, sans falsifier l'Histoire, par un témoin direct ; c'est aussi qu'il a fait un choix radical en matière de récit et d'images. Sobriété du récit, laconisme, limpidité, et enfin, puissance des images du grand Raoul Coutard, qui donnent crédit aux moments d'idylle, où les héros rêvent à haute voix d'une autre histoire, où ils auraient pu vivre l'exotisme jusqu'au bout, heureusement.
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Écrit par
- Jacques AUMONT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales
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Autres références
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CREMER BRUNO (1929-2010)
- Écrit par Alain GAREL
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Bien qu'il ait fait auparavant quelques apparitions à l'écran, la première image que le spectateur de cinéma retint de Bruno Cremer fut celle de l'adjudant Willsdorf dans La 317e Section de Pierre Schoendoerffer (1964). Il campait dans ce film un sous-officier de carrière baroudeur...
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...Libération. Passionné d’histoire, il a été l’assistant de Melville, ancien résistant qu’il accompagnait dans ses traversées de Paris. Attaché de presse pour La 317e Section, il s’est lié d’amitié avec Pierre Schoendoerffer, ancien combattant de la guerre d’Indochine. Comme souvent, c’est la complexité...