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LA BALLADE DE L'IMPOSSIBLE et LE PASSAGE DE LA NUIT (Haruki Murakami)

« 100 p. 100 roman d'amour », proclamait le bandeau publicitaire du roman Norwegian Wood. Publié au Japon en 1987 par Murakami Haruki, traduit en français par R. M. Martine-Fayolle sous le titre La Ballade de l'impossible (Belfond), le livre allait vite devenir un véritable phénomène de société, avec plus de deux millions d'exemplaires vendus.

L'auteur, né en 1949 et héritier de la « génération introvertie » née après guerre, s'attache dans ses premiers romans (parus en 1979 et 1980, inédits en France) à décrire cette jeunesse désabusée, coupée du réel, incapable de communiquer. Il met ainsi en scène des personnages peints d'après ce qu'un critique décrira comme « le mode kantien » : l'expression d'une « ironie romantique confortant la suprématie d'un Moi transcendantal, conscience pure dégagée de toutes les données de l'expérience externe et interne ».

La Ballade de l'impossible traite précisément de cette fracture, de cette absence au monde qui constitue le thème majeur de la première période de la carrière de Murakami Haruki, en s'attachant au motif du rapport à l'autre, et à son corollaire inévitable pour lui, l'incommunicabilité. Le roman évoque les relations difficiles qu'entretient le jeune Watanabe avec Naoko, petite amie de son camarade Kizuki, qui perd pied après le suicide de ce dernier et finira, après un long séjour en sanatorium, par se suicider à son tour. Watanabe, qui entre-temps noue timidement une nouvelle relation avec une autre fille, subit le choc qui, paradoxalement, vient renouer les fils distendus de son rapport au réel. Et si la mention « 100 p. 100 roman d'amour » semble justifiée, l'auteur affirme que ce n'est pas de l'amour lui-même qu'il s'agit ici, mais plutôt « de ses victimes, et des hommes voire du récit qui doivent leur survivre ».

Ainsi la mention publicitaire volontairement racoleuse fait-elle écho à la multitude de signes « consommables » (marques, noms d'artistes, descriptions sous forme de longues énumérations comme autant de « listes de courses ») qui forment l'univers urbain décrit par Murakami. Y évoluent des personnages hagards, déconnectés d'une réalité historique pourtant explosive (on reprochera à l'auteur d'avoir ainsi escamoté en quelques lignes lapidaires les mouvements étudiants qui ont secoué le Tōkyō de la fin des années 1960, cadre temporel du récit), et dont les codes inconnus d'une réalité sociale en déshérence bloquent la communication, ne laissant échapper que la moitié des phrases, gardant l'essentiel dans des limbes dont les héros, malgré leurs efforts, ne parviennent plus à s'extirper, à l'image de la jeune Naoko qui se débat et finalement se noie dans une détresse psychologique terrible. Une solitude qui finalement emporte la majorité des protagonistes du roman, ne laissant au héros, principal survivant du récit, que cette maigre révélation : « la mort n'est pas l'inverse de la vie, elle en est une partie ».

Et c'est bien là que l'auteur voulait en venir, en « recyclant » selon ses propres termes, « les codes de ce bon vieux réalisme » : les relations humaines comprises comme vecteurs de souffrance, mais aussi de croissance. En ce sens, la relation à l'autre, pour imparfaite et porteuse de douleur qu'elle soit, reste à ce stade de l'œuvre murakamienne le seul point d'ancrage possible du héros dans un réel instable.

Cette instabilité du réel, autre grand motif murakamien, qui reprend les thématiques baroques du double (La Fin des temps, Les Amants du spoutnik), du réel en miroir, multiple comme chez David Lynch (Chroniques de l'oiseau à ressort, qui lui doit beaucoup), du vertige ressenti dans la zone intermédiaire entre rêve et éveil[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en études japonaises, université de Strasbourg

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