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LÀ-BAS, Joris-Karl Huysmans Fiche de lecture

Avec Là-bas, publié en 1891, J.-K. Huysmans (1848-1907) rompt avec le naturalisme, mouvement littéraire dans lequel il s'inscrivait depuis quinze ans et qui avait fait de lui, aux côtés d'Henri Céard, Léon Hennique et Guy de Maupassant, le compagnon de route d'Émile Zola. Certes, À rebours, sept ans plus tôt, avait amorcé un tournant. En créant le personnage de Jean Floressas des Esseintes, aristocrate dandy et névrosé qui s'efforce d'inventer un univers où l'art supplanterait la vie et l'artifice la nature, Huysmans avait cessé de faire de la littérature le simple reflet du réel, ouvrant la voie au décadentisme et au symbolisme. Il tournait ainsi le dos à ses précédents romans, d'un hyperréalisme terrifiant, qui se voulaient avant tout des documentaires sociaux retraçant l'histoire d'une fille (Marthe, 1876), d'une famille ouvrière (Les Sœurs Vatard, 1879), d'un petit rentier cocu (En ménage, 1881), ou encore d'un rond-de-cuir (À vau-l'eau, 1882).

Là-bas entérine ce revirement. Dès les premières lignes du roman, l'auteur se livre à un cinglant procès du naturalisme, qu'il accuse d'avoir « rejeté toute pensée altière, tout élan vers le surnaturel et l'au-delà » et « incarné le matérialisme dans la littérature », tout en rendant néanmoins hommage à ses apports et à ses novations. L'accusation n'est donc pas tant esthétique que philosophique, voire existentielle.

Or, à l'approche des années 1890, Huysmans s'engage dans une longue quête spirituelle qui le conduira à l'entrée du monastère. Barbey d'Aurevilly lui avait d'ailleurs prédit qu'après À rebours, il ne lui restait plus à choisir qu'entre la bouche du pistolet et les pieds de la croix. D'où, désormais, son rejet de ce qui relève du positivisme et de la rationalité. Il rêve d'une littérature où le réalisme favoriserait une « échappée hors des sens, vers d'infinis lointains ». Là-bas se veut précisément l'illustration de ce « naturalisme spiritualiste ».

Démons et succube

Personnage central du roman, Durtal est un écrivain qui a abandonné le roman pour le récit historique. Bouleversé par La Crucifixion de Matthias Grünewald, qu'il a contemplée au musée de Cassel, il entreprend d'évoquer les violences et les exaltations du Moyen Âge, à travers la « formidable figure » de Gilles de Rais. Montrer « comment cet homme, qui fut brave capitaine et bon chrétien, devint subitement sacrilège et scélérat », tel est le but de son récit, dont l'écriture constitue le fil rouge de Là-bas.

Célibataire sans attaches et sans passions, Durtal cherche un sens à sa vie. Il s'entretient souvent de religion avec son ami Des Hermies, un médecin féru de théologie qui lui fait connaître Carhaix, le sonneur de Saint-Sulpice, lui aussi érudit en ce domaine. Tous deux prennent l'habitude de dîner dans le modeste logement qu'occupent Carhaix et son épouse, véritable « cave aérienne » régulièrement sanctifiée par la sonnerie des cloches. Là, ils peuvent, autour de bons plats, débattre de doctrine chrétienne et dénoncer les turpitudes du matérialisme.

Alors qu'il aborde le moment où Gilles de Rais se tourne vers le mal et croit conclure un pacte avec le diable en lui sacrifiant des centaines d'enfants qu'il viole et éventre, Durtal s'interroge sur la survivance du satanisme. Des Hermies lui ayant assuré que des messes noires sont encore pratiquées, il n'a de cesse d'en savoir plus à ce sujet. Un des convives de Carhaix, l'astrologue Gévingey, lui révèle qu'un prêtre sacrilège, le chanoine Docre, en célèbre régulièrement à Paris.

Or Docre est un familier du couple Chantelouve, dont la femme, Hyacinthe, a adressé à Durtal des lettres d'amour anonymes,[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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