LA BATAILLE D'ALGER, film de Gillo Pontecorvo
Un film d'investigation
La difficile réception, en France, de La Bataille d'Alger prouve combien le sujet a été, et reste, brûlant. D'abord, le film n'obtient son visa d'exploitation en France qu'en 1971. Ensuite, les cinémas qui ont le courage de le projeter font l'objet d'actes de vandalisme : la salle Saint-Séverin, à Paris, est plastiquée ; à Lons-le-Saunier, dans le Jura, un commando met l'écran en pièces et détruit la copie du film à l'acide sulfurique.
La Bataille d'Alger adopte un style documentaire, accentué par un noir et blanc très contrasté, qui laisse supposer, à tort, qu'il s'agit d'une enquête de terrain. Ce parti pris du réalisateur pose le problème de la vérité, le film ne pouvant en aucun cas, malgré la reconstitution minutieuse, prendre la valeur d'un authentique témoignage historique. Cette ambiguïté est accentuée par le fait que les personnages du film ne sont pas joués par des acteurs professionnels, hormis le rôle du colonel Mathieu, interprété par Jean Martin, à la tête des parachutistes français.
La mise en scène privilégie la violence du terrain sous forme d'images de reportage cadrées avec une réelle virtuosité technique. Elle donne à la photographie l'apparence d'images d'actualités saisissantes. Les deux figures essentielles du film, le colonel Mathieu, officier méticuleux et professionnel, et Ali la Pointe, résistant et héros de l'indépendance, se fondent dans cette histoire reconstituée. Leur affrontement psychologique à huis clos se mêle aux amples mouvements de foule dans les rues. La vie des Français d'Alger, décrite comme luxurieuse, sert de contrepoint schématique pour évoquer la destinée collective du peuple algérien. Sans mise en scène dramatisante, ni vraiment partisane, le film est surtout soucieux de décrire des faits au plus près. Sur un ton neutre, la voix off insère en continu les proclamations partisanes des deux camps. Le cinéaste impose peu à peu une vision globale des événements pour montrer l'engrenage de la violence. Vaincu par les parachutistes, au prix d'un quadrillage total de la ville, le terrorisme fournira les conditions d'une victoire politique ultérieure.
Ce cinéma engagé évoque la rigueur stylistique de Francesco Rosi dans Salvatore Giuliano (1961). Gillo Pontecorvo propose une réflexion toujours actuelle sur les rapports entre l'éthique et l'action politique. Ce film d'investigation pointe les limites insupportables des situations (la torture comme pratique régulière de l'armée française, le terrorisme comme moyen d'action du F.L.N.). Face aux surenchères d'une violence aveugle, les individus restent démunis et la justice perd ses droits.
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
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PONTECORVO GILLO (1919-2006)
- Écrit par Jean A. GILI
- 832 mots
Né à Pise en 1919 dans une famille juive aisée, le réalisateur Gillo Pontecorvo fuit le fascisme et s'installe en France après l'instauration dans son pays des lois raciales de 1938. Diplômé de chimie, il gagne sa vie comme correspondant de plusieurs journaux italiens. Il fréquente les milieux antifascistes,...