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LA BEAUTÉ DU MONDE (J. Starobinski) Fiche de lecture

Jean Starobinski - crédits : Effigie/ Bridgeman Images

Jean Starobinski

La Beauté du monde. La littérature et les arts (Gallimard, 2016) réunit sous la direction de Martin Rueff une grande part des études que Jean Starobinski (1920-2019), a publiées de 1946 à 2010, et dont beaucoup n’avaient pas été reprises en volume. Ces textes sont nés de la rencontre du critique avec des œuvres littéraires, picturales ou musicales, dont un mot, un tableau ou un air ont éveillé la réflexion tout à la fois empathique et critique. Le titre du livre renvoie à la mission que s’est assignée ce fils d’une famille juive polonaise réfugiée à Genève : contre la barbarie, Jean Starobinski, médecin et écrivain, a choisi de lire, regarder, écouter et transmettre « la beauté du monde ».

Poésie et vérité

L’introduction, à partir d’une page de Marcel Proust, définit sa conception des rapports entre « la littérature et la beauté du monde » en accordant la seule dimension esthétique à l’impératif éthique et au désir de vérité. Viennent ensuite, dans l’ordre chronologique, une centaine d’études articulées en deux grands ensembles, le premier traitant de la littérature et le second de la peinture et la musique. Une conclusion sur « le texte et l’interprète » clôt le volume. L’ensemble est complété par un long essai biographique et une postface de Martin Rueff, un dossier iconographique et de brèves présentations critiques.

Si l’on retrouve, au fil de la lecture, « la relation critique » propre à cet homme de lettres et de science ainsi que certains de ses leitmotive, cette somme révèle d’autres facettes : le spécialiste du siècle des Lumières (L’Invention de la liberté, 1700-1789, 1964, et 1789, Les Emblèmes de la Raison, 1973), de Rousseau (Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l’obstacle, 1957), Montesquieu ou Diderot (Diderot, un diable de ramage, 2012), le critique médecin de L’Encre de la mélancolie (2012) laissent place ici à l’herméneute de la poésie, au critique historien de la peinture et au passionné de musique.

La première partie, qui traite de « la poésie et l’existence », s'ouvre sur un grand tour d'horizon : Jean Starobinski explore la « Mémoire de Troie » telle qu’elle revit chez Dante, Shakespeare, Racine, Goethe, Baudelaire, Mandelstam et Bonnefoy. Puis « l’œil vivant » du critique, tour à tour historien, philologue, stylisticien et sémanticien, s'intéresse aux mythes du poète heureux ou malheureux, en décryptant « Les Journées plurielles de Ronsard », la posture d'André Chénier, le refus d’un réel qui ne serait qu’illusion dans l’image des fleurs mallarméennes ou la surenchère ironique de Lautréamont.

Beaucoup d'études sont consacrées aux poètes du xxe siècle : une réflexion se développe, d'un côté, sur les rapports entre science et poésie, chez Valéry et Caillois dont l'essayiste interroge les « clartés » ; de l'autre, sur les rapports de la poésie avec le mythe et la religion : l'historien herméneute définit le poème de René Char, élucide la veine occultiste du surréaliste André Breton ou explicite la relation de l'œuvre de Claudel avec Dieu et l’eschatologie athée d’un Yves Bonnefoy. Les rapports de l'histoire et de l'éthique avec la poésie sont aussi traités à travers « l'écoute » de Paul Celan, « survivant de la Shoah », et celle de l'œuvre du poète et traducteur Philippe Jaccottet.

Deux poètes, Charles Baudelaire et Pierre Jean Jouve, semblent plus chers aux interrogations du critique et font l'objet de nombreux essais qui portent, chez l’un, sur la rime, la mélancolie, l’artiste saltimbanque, le mal, l’immortalité, le temps, le critique d’art, et chez l’autre, dont il fut l’ami, sur le désir, la dramaturgie, le corps, etc. Quant au chapitre consacré aux « Temps du poème », il s’y interroge plus généralement sur les rapports de la poésie[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

Classification

Média

Jean Starobinski - crédits : Effigie/ Bridgeman Images

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