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LA BELLE ET LA BÊTE, film de Jean Cocteau

Du merveilleux au merveilleux : éloge du classicisme

Le film est adapté d'un conte de Jeanne Marie Leprince de Beaumont (recueil Le Magasin des enfants, 1757) qui fut souvent publié à la suite de Peau d'âne, et que Cocteau choisit, au lendemain de la guerre, pour son caractère éminemment français. Son art aura été de rester fidèle à cette histoire, dont il conserve la trame d'ensemble et les qualités, morales et symboliques, des personnages, tout en apportant à une fable abstraite ce qui pouvait la faire exister : une chair. Le décor de Christian Bérard, inspiré de la peinture hollandaise, est entièrement crédible, et Cocteau et lui imaginèrent mille détails charmants, surtout dans le palais de la Bête, où les manifestations du merveilleux sont incessantes et toujours surprenantes. Quant aux personnages, ils sont d'un vraisemblable très contemporain, notamment par leur psychologie toute moderne.

Pour adapter un conte merveilleux, la solution la plus évidente (celle qu'adoptera la firme Disney en 1991) semble être de déréaliser l'ensemble. Cocteau s'en garde bien, et son souci du détail – significatif, gracieux ou touchant, mais toujours réaliste, même dans l'irréel – vise à affirmer implicitement que le cinéma, pour être authentiquement merveilleux, ne doit surtout pas abandonner ses prétentions au rendu réaliste du monde. Le monde de ce film est féerique, mais Cocteau refuse tout trucage de laboratoire et ne s'autorise que ceux qu'on peut réaliser au tournage (ralenti, tournage à l'envers) – parce qu'ils n'attentent pas à la nature de la prise de vues – et bien sûr, ceux qui résultent du montage. C'est donc aussi un bel exemple de ce que le cinéaste Lev Koulechov avait appelé dans les années 1920 la « géographie créatrice » : on passe du manoir de Rochecorbon, dans la vallée de la Loire, au parc de Raray (près de Senlis)... et au studio.

Depuis son poème surréalisant Le Sang d'un poète, Cocteau a considérablement changé sa conception du cinéma ; avec La Belle et la Bête, il revient à une forme classique, où la poésie surgit de l'excès même de limpidité et de simplicité. L'héritage de ce second Cocteau est aussi important que celui du Sang d'un poète. Sa conception du cinéma, qu'il exposa souvent, repose sur ce postulat central : « La poésie doit venir on ne sait d'où, et non de l'intention de faire de la poésie » (Entretiens sur le cinématographe, 1951). Il faut fuir comme la peste toute velléité d'atteindre la poésie par une image trop travaillée ; l'image doit nous plaire par sa grâce, sa justesse, et par un je-ne-sais-quoi qui interdit tout expressionnisme. De cette leçon, un cinéaste comme Jacques Demy se souviendra toujours, mais on retrouve quelque chose de l'esprit de Cocteau chez bien d'autres cinéastes français, de Robert Bresson à Leos Carax.

— Jacques AUMONT

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales

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Médias

<it>La Belle et la Bête</it>, J. Cocteau - crédits : Swim Ink 2, LLC/ CORBIS/ Getty Images

La Belle et la Bête, J. Cocteau

La Belle et la Bête, J. Cocteau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

La Belle et la Bête, J. Cocteau