LA CANDIDATURE OFFICIELLE, UNE PRATIQUE D'ÉTAT DE LA RESTAURATION À LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE (C. Voilliot)
Avec La Candidature officielle (Presses universitaires de Rennes, 2005), Christophe Voilliot s'inscrit dans une perspective de recherche florissante, qui consiste à retracer la genèse en France, au xixe siècle, des formes de la démocratie élective telle qu'elle existe au début du xxie siècle. Dans la lignée d'auteurs comme Bernard Lacroix, Alain Garrigou (Histoire du suffrage universel, 2002), Éric Phélippeau (L'Invention de l'homme politique moderne, 2002) ou Michel Offerlé, il restitue les logiques du suffrage universel, depuis la Restauration jusqu'au tournant du xxe siècle. Il analyse plus particulièrement le rôle que l'État et ses fonctionnaires ont pu y jouer à travers la sélection de candidats favorables aux régimes en place et leurs efforts pour faire élire ces candidats. L'approche est cependant originale, et d'abord parce qu'elle déborde les découpages historiques classiques commandés par les changements institutionnels : la structuration sociale de la France et les pratiques politiques qui ont cours traversent les régimes et se jouent des « ruptures » révolutionnaires ou contre-révolutionnaires ; même l'instauration du suffrage universel en 1848 ne modifie pas radicalement les échanges politiques à l'œuvre. La seconde originalité du livre de Christophe Voilliot est précisément de remonter plus loin que ses prédécesseurs dans la chronologie en prenant comme point de départ la crise de 1815-1816 et les élections législatives qui s'ensuivent.
Fondé sur un impressionnant dépouillement d'archives nationales et départementales, l'ouvrage décrit et analyse l'émergence et l'institutionnalisation de la candidature officielle, « technologie d'État » qui s'appuie sur des fonctionnaires (en particulier les préfets et leur personnel) et prend la forme de pratiques concrètes de détection des candidats les plus adéquats et de surveillance des électeurs (les électeurs censitaires avant 1848, l'ensemble de la population ensuite) : c'est tout un savoir-faire électoral qui est alors mis en œuvre par ces agents, depuis la constitution d'un « circuit de promotion » d'un certain nombre de notables et de notabilités jusqu'à l'élaboration de taxinomies complexes sur « l'opinion » des électeurs et des candidats, ainsi que les tentatives de prévision des résultats électoraux. Cet interventionnisme étatique d'un genre particulier, dont les bases se constituent sous la Restauration et la monarchie de Juillet, prend toute son ampleur et son systématisme dans les débuts du second Empire ; vivement critiqué par les républicains à partir du milieu des années 1860, il est dès lors discrédité, notamment du fait de la défaite des candidats officiels en 1877. Cela ne signifie pourtant pas que cette pratique, devenue totalement illégitime, disparaît ; elle est remplacée par une forme d'influence officieuse mais néanmoins très efficace dans certains départements. Même si l'auteur se réfère plutôt à la sociologie de Norbert Elias, on ne peut pas ne pas penser à Michel Foucault et voir dans ce travail de surveillance et de contrôle du jeu électoral, avec les instruments sociocognitifs qu'il entraîne, un dispositif de discipline de la vie politique au xixe siècle.
Mais, au-delà de sa recherche sur la technique même de la candidature officielle, l'intérêt de l'ouvrage de Christophe Voilliot tient dans la manière dont il analyse, à travers son objet d'étude spécifique, la réalité de l'élection tout au long du xixe siècle. Il contribue ainsi à la question plus générale de la politisation de la société française, en montrant comment la genèse de l'État parlementaire se poursuit à travers la constitution d'un ensemble de ressources spécifiquement politiques,[...]
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Écrit par
- Laurent WILLEMEZ : maître de conférences en sociologie à l'université de Poitiers, chercheur au C.U.R.A.P.P., C.N.R.S., université d'Amiens
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