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CÉLESTINE LA

Par le mystère de son anonymat, par sa genèse qui laisse apparaître des strates successives, par son succès populaire, La Célestine présente le cas typique du chef-d'œuvre étrange qui intrigue les érudits sans perdre auprès de son public sa force et sa verdeur. Souvent imitée en Espagne depuis Feliciano de Silva (Seconde Comédie de Célestine, 1534) jusqu'à Lope de Vega (La Dorotea, 1632), traduite dès le xvie siècle en diverses langues, elle occupe une place de choix dans la culture littéraire de la Renaissance. Le crépuscule de cette œuvre drue et crue commence quand l'art baroque submerge l'Europe de ses périphrases et qu'une dévotion timorée s'effarouche de certains traits, même s'ils étaient manifestement destinés à stigmatiser et à ridiculiser le héros. Déjà, en 1605, quelques vers liminaires du Quichotte laissent percer un regret que Celestina, « livre divin » selon leur auteur, ne cache pas mieux « l'humain ». En 1640, l'Index inquisitorial l'expurge des blasphèmes de l'amoureux idolâtre. Le xixe siècle la remet à l'honneur, mais la met au goût du jour. Il faut apprendre à en retrouver la saveur authentique.

Les différentes versions

En 1499 paraît à Burgos la Comedia de Calisto y Melibea, drame en prose en seize actes. Calisto adore Melibea, fille de Pleberio, depuis qu'il l'a rencontrée par hasard en cherchant un faucon perdu. L'action s'ouvre sur une deuxième rencontre, où sa déclaration est repoussée avec colère. Il se laisse persuader par son valet Sempronio de faire appel à Celestina, entremetteuse et sorcière. Une intrigue se noue entre cette vieille, les deux serviteurs de Calisto et deux prostituées, protégées de Celestina. Celle-ci obtient de Melibea un premier rendez-vous nocturne, où la porte du palais de Pleberio sépare encore les amants. La même nuit les serviteurs essayent de faire chanter Celestina et la tuent. Ils sont pris, exécutés. Melibea avait accepté de recevoir Calisto la nuit suivante dans le jardin du palais. Elle perd sa virginité sans résistance. En partant, Calisto tombe de l'échelle avec laquelle il a franchi le mur, et meurt sur place. Melibea se suicide en se précipitant du haut de la tour. La lamentation de Pleberio maudissant l'amour sert d'épilogue.

L'œuvre ayant eu d'emblée un vif succès, l'auteur la développe en 1502. Il intercale cinq actes, un mois de délai, entre la reddition de Melibea et la mort des amants. Leur bonheur sera-t-il ruiné par un complot dérisoire des prostituées ? Celles-ci, rejetant sur eux la responsabilité de la mort de Celestina et des valets, en confient la vengeance au rufian couard Centurio, lequel n'interrompra que par un simulacre d'algarade la dernière nuit d'amour au jardin, dont la poésie est digne d'avoir inspiré Shakespeare. Courant au secours de ses gardes du corps qu'il croit en danger, Calisto tombe de l'échelle fatale. Ainsi se raccorde au dénouement primitif cette version en vingt et un actes, qui reçoit le titre de Tragicomedia de Calisto y Melibea.

Dès 1500 les pièces liminaires de la Comedia comprennent 88 vers formant un acrostiche où le principal auteur se nomme. C'est « le bachelier Fernando de Rojas, natif de la puebla de Montalván ». Il dit avoir « achevé » le drame, dont il avait trouvé à Salamanque un manuscrit anonyme de l'acte I, allant jusqu'au pacte de la vieille avec Calisto. Nous ne voyons pas de raison sérieuse de mettre en doute ses dires, et d'y voir, comme on l'a fait depuis le xixe siècle, une coquetterie ou une précaution d'écrivain novateur et hardi. Pas de raison non plus de douter qu'il ne soit l'auteur du « tratado de Centurio » intercalé en 1502, comme l'insinue alors le nouveau « Prólogo ». Mais le nom de Rojas resta dans la pénombre où il l'avait relégué.[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut, administrateur honoraire du Collège de France
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