LA CÉLESTINE (F. de Rojas) Fiche de lecture
Une œuvre mythique
Dans cette œuvre complexe et équivoque, au rythme lent, mais traversée par un souffle dramatique prodigieux, s'intercalent des éléments lyriques, comiques ou parodiques. Le personnage de la Célestine domine l'action. Sorcière diabolique, cynique, âpre au gain, maquerelle experte en arts de Vénus, ou vénérable matrone vendeuse de colifichets, d'une perspicacité redoutable, elle dépasse par la puissance de ses traits et l'habileté de ses manigances les modèles antérieurs – telle la Trottecouvents de l'Archiprêtre de Hita (Juan Ruiz, Livre du bon amour) – qui ont pu inspirer sa venue au monde de la littérature, où elle fait désormais figure d'archétype.
Mélibée, dans la tradition des personnages féminins de Boccace (1313-1375) ou de Piccolomini (1405-1464), révèle tout au long de la pièce la sincérité d'un cœur naturellement porté à aimer avec passion et sincérité. Calixte, « le fol amoureux », « ridicule obsédé », comme on l'a qualifié, n'a rien du poète de l'amour courtois en adoration devant sa dame. Pour cet amant impulsif, tous les moyens, fussent-ils infâmes ou grossiers, sont bons pour obtenir satisfaction.
Dès le xvie siècle, La Célestine a joui d'une popularité telle que, malgré la satire anticléricale qu'elle contient, elle intimida l'Inquisition. En Espagne, son influence s'exerça davantage sur le théâtre primitif que sur la comedia du Siècle d'or. Lope de Vega s'en inspira pour écrire La Dorotea (1632). Son prestige n'a fait que croître au cours des siècles. Drame de la passion, exaltation du désir ou mise en garde contre ses effets dévastateurs, reflet satirique d'une société corrompue ou édifiante leçon de morale chrétienne, La Célestine conserve ses ambiguïtés, et son interprétation reste ouverte. En France, elle fut représentée dans une mise en scène d'Antoine Vitez, au festival d'Avignon, en 1989, puis au théâtre de l'Odéon.
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
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