LA CHAMBRE DU FILS (N. Moretti)
Trois ans après Aprile présenté au festival de Cannes en 1998, sept ans après Journal intime qui obtint le prix de la mise en scène en 1994, La Chambre du fils a apporté à Nanni Moretti la palme d'or du festival de Cannes 2001.
Le film surprend par la rupture brutale que l'auteur introduit avec la veine autobiographique de ses deux derniers films, et par le choix d'un registre dramatique jamais exploré jusqu'ici. À Ancône, un homme fait du jogging le long d'un quai. Il s'agit d'un psychanalyste, marié à une femme qui travaille dans l'édition. Le couple a deux enfants adolescents, un garçon et une fille. Ils vivent tous les quatre dans un appartement suffisamment vaste pour accueillir également le cabinet du médecin. Le père aime le sport pour lui et pour ses enfants, et reproche à son fils de manquer d'envie de gagner lorsqu'il joue au tennis. Sa fille, au contraire, réussit brillamment dans une compétition de basket-ball. Jusque-là, dans la nature de cet univers familial où tout semble aller pour le mieux, Moretti choisit de nous surprendre par une normalité assumée.
Référence supplémentaire aux personnages antérieurement interprétés par le cinéaste, Giovanni, comme le prêtre de La messe est finie, se consacre aux autres avec une extrême disponibilité. Dans son cabinet défilent toutes sortes de patients auxquels il essaie d'apporter le soutien de son écoute. Leur va-et-vient constitue autant de points de repère dans le récit, dans l'avant et l'après du drame qui va déchirer la vie des protagonistes. Ces consultations sont aussi l'occasion de retrouver quelques acteurs familiers de l'univers morettien : outre Laura Morante en épouse attentive, Dario Cantarelli, Luisa De Santis, Silvio Orlando...
Un jour, le malheur s'abat sur cet univers qui semble sans aspérités : à l'occasion d'une plongée sous-marine, le fils se noie. La mort – mot imprononçable – est vécue comme une séparation irrémédiable. Cette vision qui exclut toute consolation est soulignée par la scène quasi insoutenable de la fermeture du cercueil : lorsque l'adolescent est mis en bière, le couvercle de bois est scellé non seulement par des vis mais aussi par une enveloppe métallique soudée à l'étain. Totalement désemparé – il doit bientôt renoncer à recevoir ses malades –, Giovanni ne court plus pour le plaisir : ses efforts physiques ne servent qu'à anesthésier la conscience d'un esprit tourmenté. Il va même dans une fête foraine pour s'étourdir dans une balançoire en forme de cage. Le choc visuel est extrême : l'image d'un homme qui, là où les gens se divertissent, cherche à contenir sa souffrance en perdant, dans les soubresauts de l'engin, ses repères spatiaux et sa conscience douloureuse. Après la mort du fils, comme si le père ne pouvait pas se détacher du garçon, des souvenirs en forme de flash viennent interrompre le récit : Giovanni fait du jogging avec son fils dans les rues d'Ancône. Autant d'images mentales qui soulignent la difficulté du deuil. Celui-ci, pourtant, commencera à se faire. L'arrivée dans le cercle familial d'une jeune fille qui fut amoureuse du garçon disparu, l'effort de tous pour s'attacher cette présence qui fut aussi une partie de la vie de l'adolescent, enfin le voyage dans la nuit, d'Ancône à Menton, pour accompagner en France cette jeune fille et un de ses amis, sont autant de manières de rompre l'enfermement douloureux. Par là, dans ces pas confus au bord de la mer, se dessine une issue possible, même si plus rien ne sera comme auparavant.
La Chambre du fils est une œuvre profondément dramatique qui accumule les signes de la souffrance : celle, prémonitoire, des patients du psychanalyste, celle de la famille frappée par la disparition du jeune garçon, celle[...]
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Écrit par
- Jean A. GILI : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne
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