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LA CHANSON DE ROLAND

Composée vers 1100 et conservée sous sa forme la plus ancienne dans un manuscrit copié entre 1140 et 1170 (manuscrit dit d'Oxford), La Chanson de Roland pose une série d'énigmes qui ont longuement nourri les débats critiques. Par quelles voies un événement historique, le désastre subi par l'arrière-garde de l'armée de Charlemagne à Roncevaux, le 15 août 778, s'est-il transmis jusqu'à la fin du xie siècle ? Pourquoi est-ce à ce moment-là que le souvenir en a été comme réactivé ? Comment expliquer d'autre part la perfection formelle de ce premier témoin conservé de l'art épique ? À partir de quels modèles médio-latins et romans s'est forgée une technique épique aussi aboutie ?

Roland commence au moment où « Carles li reis nostre emperere magne » (« Le roi Charles, notre grand empereur », v. 1) vient de dévaster l'Espagne sarrasine et où ne résiste plus que Saragosse, que tient le païen Marsile. La ruse mise au point par les Sarrasins avec la complicité du traître Ganelon conduit à une attaque surprise de l'arrière-garde chrétienne commandée par Roland, le neveu de Charlemagne. Au cours des âpres combats qui s'engagent, Roland refuse d'abord de sonner du cor pour rappeler Charlemagne, comme le lui demande son compagnon Olivier. Mais, trop peu nombreux, les combattants chrétiens sont peu à peu massacrés. Roland sonne enfin du cor, se rompt une veine et meurt en odeur de sainteté tout en restant maître du champ de bataille : « Dessous un pin gît le comte Roland,/ Les yeux tournés vers l'Espagne. Il se prend/ À rappeler mainte ressouvenance :/ Tant de pays conquis par sa valeur,/ Les gens de son lignage, et douce France,/ Et l'empereur, qui nourrit son enfance. » Revenu à Roncevaux, Charlemagne met en fuite Marsile et son armée, puis triomphe en un terrible combat de l'émir Baligant, venu au secours de Marsile. De retour à Aix-la-Chapelle, l'empereur fait juger et supplicier Ganelon. Saint Gabriel vient alors lui annoncer les lourdes tâches qui l'attendent encore.

La laisse, une cellule narrative

Commémorer les exploits des guerriers, leur « geste », passe dans le Roland par le choix d'une forme, la laisse, suite de décasyllabes en nombre variable unis par une même assonance. Chanson de dimension moyenne, le poème comprend 4002 vers, répartis en 291 laisses. Forme souple, cellule autonome, la laisse permet tout à la fois d'isoler les éléments de l'action et de leur donner l'ampleur ou la brièveté désirées. Mais la chanson propose aussi les procédés qui permettent de lier les laisses entre elles et de jouer de l'alternance entre discontinu et continu : les laisses « enchaînées » assurent la continuité du récit ; les laisses « parallèles » permettent, pour les combats notamment, d'élargir le champ de vision ; les laisses « similaires », en introduisant dans le récit de « grandes haltes lyriques » (Jean Rychner), tendent à dilater le temps en des moments essentiels, comme la longue agonie du héros. C'est également dans le Roland que se fixe pour l'essentiel le répertoire de formules (les « clichés épiques ») et de motifs narratifs que se transmettront ensuite les chanteurs de geste.

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Écrit par

  • : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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    • 1 358 mots
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