LA CHANSON DE ROLAND
Un monde parfaitement ordonné
Comme le vers 1, la laisse 8 du Roland propose au lecteur-auditeur un univers épique préexistant à la chanson, où sont parfaitement circonscrits le bien et le mal, le droit et le tort, comme l'énonce plus loin le vers 1015 : « Les païens sont dans leur tort, les chrétiens dans leur droit. » La laisse rappelle les victoires des chrétiens en Espagne, le riche butin conquis, les conversions des vaincus, obtenues de gré ou de force. L'empereur – « il a la barbe blanche et la tête fleurie » (v. 117) – siège en majesté dans le verger royal. Auprès de lui se tiennent Roland et Olivier et « quinze milliers » de guerriers francs. Est ainsi évoquée une société puissante, sûre de ses valeurs, où chacun tient sa place : les guerriers se reposent, les vieux chevaliers jouent aux échecs, les très jeunes s'exercent au maniement des armes. La perfidie des païens et la trahison de Ganelon brouillent un moment cette harmonie. Mais l'un des enjeux majeurs de La Chanson de Roland est de montrer comment les valeurs véhiculées par le monde chrétien et incarnées par Charlemagne et ses guerriers peuvent et doivent finalement s'imposer, quels que soient les sacrifices à consentir. Roland meurt, mais sa mort permet à l'empereur, dans un combat décisif, de triompher de Baligant, chef suprême des païens.
On ne saura sans doute jamais comment s'est transmis le souvenir – bien déformé – du désastre de Roncevaux ni comment les chanteurs de geste, et déjà l'énigmatique Turoldus, qui inscrit son nom au dernier vers de la Chanson, ont pu connaître ce passé revisité par la légende. On peut plus sûrement estimer qu'évoquer les luttes de Charlemagne contre les Sarrasins d'Espagne rejoignait les préoccupations les plus actuelles d'une époque, la fin du xie siècle, alors que s'amorce la reconquête de l'Espagne sur les Maures et que la première croisade vient d'aboutir à la conquête de Jérusalem. Quelle meilleure leçon d'héroïsme proposer aux chevaliers de ce temps que les exploits et le dévouement sans faille à Dieu, à leur roi, à « douce France », de Roland, d'Olivier, de l'archevêque Turpin et de leurs compagnons ?
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Écrit par
- Emmanuèle BAUMGARTNER : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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