LA CITÉ ANTIQUE, Numa Denis Fustel de Coulanges Fiche de lecture
Puissance et limites d'une leçon d'histoire
Les conceptions développées dans La Cité antique ont été, au xixe siècle, moins discutées que l'insistance mise, en d'autres textes, par leur auteur à démontrer que les Germains avaient adopté les institutions romaines. De la même façon, cependant, que le débat entre « romanistes » et « germanistes » débordait, depuis Montesquieu, le seul cadre historiographique, la grande étude de 1864 ne s'y inscrit pas complètement. Plus positif que Taine et excluant de l'histoire toute spéculation, Fustel n'en formule, en effet, pas moins des conclusions sociologiques. Dans l'Antiquité ce n'est pas le droit, mais la religion qui protégeait la propriété privée ; indissociable du culte des morts et de la famille, cette dernière était inaliénable, « immobile comme le foyer et le tombeau auxquels elle est attachée ». Avec l'instauration de la démocratie, on ne se bat plus pour des principes mais pour des intérêts, et « l'égalité des droits politiques fait ressortir encore davantage l'inégalité des conditions » ; le droit de propriété n'est plus respecté parce que la sanction religieuse fait défaut : « on ne voit plus le principe supérieur qui [le] consacre ».
L'explication proposée est ici étroitement solidaire de la démarche adoptée. Celle-ci est comparative et se soutient de la confrontation des hymnes du Rig-Veda, des tragédies d'Euripide, des lois de Manu, etc., pour attester une communauté primitive de croyances et d'institutions. Mais elle vise d'abord à éviter l'anachronisme. Ainsi, il est d'emblée précisé que « l'idée que l'on s'est faite de la Grèce et de Rome a souvent troublé nos générations. Pour avoir mal observé les institutions de la cité ancienne, on a imaginé de les faire revivre chez nous. On s'est fait illusion sur la liberté chez les Anciens, et pour cela seul la liberté chez les Modernes a été mise en péril », ce que Benjamin Constant avait déjà bien vu. Si la méthode historique ainsi appliquée permet de rectifier les idées que l'on se forme ordinairement du passé, on a pu lui reprocher de trop faire crédit aux jugements des Anciens – à Tite-Live en particulier, qu'il suit aveuglément –, de ne recourir qu'aux seules sources écrites quand la topographie, la linguistique, les monnaies peuvent être mises à contribution, d'avoir méconnu enfin les causes économiques dans la formation, l'évolution et la désagrégation de la cité.
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
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