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LA CLARTÉ NOTRE-DAME et LE DERNIER LIVRE DE MADRIGAUX (P. Jaccottet)

L'écrivain, poète, critique et traducteur suissePhilippe Jaccottet est mort le 24 février 2021 à Grignan (Drôme), le lieu où il s’était établi en 1953. Deux livres posthumes ont paru simultanément, au lendemain de sa disparition : La Clarté Notre-Dame (Gallimard), composé de notes en prose, dans la veine des ouvrages qui composent La Semaison (1984-2001) et Le Dernier Livre de Madrigaux (ibid.), un recueil de poèmes tout aussi bref et mesuré. Dans ces deux opuscules qui se font écho, le poète livre les dernières lumières de son « combat inégal » face à la nuit qui l'encercle.

« Un tintement pur, léger, fragile… »

La Clarté Notre-Dame est le nom d'un monastère habité par des sœurs dominicaines près de Taulignan, dans la Drôme provençale chère à Jaccottet. Tissé de notes autobiographiques qui courent de 2012 à 2020, l'ouvrage oppose en contrepoint un premier mouvement lumineux à un second, sombre et grave, que tente de réconcilier la voix haute et presque ailée du « Post-scriptum ». Le diptyque s'ouvre sur une note du 19 septembre 2012 dont la « clarté » retentit dans tout le premier volet : « le recueilleur » de La Semaison relate son « étonnement heureux » en entendant sonner, lors d'une promenade à vêpres, la cloche du couvent de La Clarté Notre-Dame. À l’inverse, le second volet s'ouvre sur des cris de torturés dans une prison de Damas : cette scène, vue et entendue à la télévision, hante la conscience de l'écrivain et assombrit toutes les notes suivantes. Le mal qui obsédait déjà le « juvénile » Requiem (1948), « sap[e] (…) la gloire de cette lumière terrestre ». Dans son «Post-scriptum » du 7 juin 2020, le poète tente néanmoins de trouver, au-delà de toute « dévaluation» poétique, une «apparence de sens».

De fait, loin de céder au non-sens, les proses de La Clarté Notre-Dame procèdent d'une étonnante cohérence, comme une chambre d'échos : la « cloche » « frêle » et « cristalline » fait vibrer les aveux et les derniers signes de vie d'un vieil homme toujours plus désarmé, que sa mémoire orchestre à la manière d’une polyphonie. Ce maître de la réminiscence joue sur les correspondances entre les temps, les lieux, les êtres chers, les œuvres lues, écrites ou traduites (Ramuz, Cristina Campo, Claudel, Goethe, Virgile, Dante, Leopardi, Hölderlin, Jouve). Il restitue la musique claire de l'enfance (tintement d'un ruisseau dans les Alpes vaudoises, clochette de l’élévation ou du portail du jardin paternel), des lieux familiers (fenêtre de la maison, petite chapelle dans la campagne) ou plus lointains (excursion à Soglio, en Suisse, voyage à Palmyre). En multipliant les orbes des parenthèses et les détours des prétéritions dont le souci aigu de vérité épuise comparaisons et métaphores, l'auteur cherche à jouer sa plus juste musique intérieure qu'il trouve finalement dans le son de la cloche« désaccordée, par de la neige », entendue chez son maître Hölderlin, emblème d'une « clarté » à l'harmonie assourdie.

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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