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LA CLARTÉ NOTRE-DAME et LE DERNIER LIVRE DE MADRIGAUX (P. Jaccottet)

« … vert cru, rose angélique et bleu d’iris… »

Le même combat illustre Le Dernier Livre deMadrigaux qui reprend une trentaine de poèmes, pour la plupart en vers libres, parus en revue dès 1984. Le madrigal, qui connut son apogée avec la Renaissance italienne, désigne un court poème lyrique, chanté, traitant de l'amour et de la nature. Si le recueil s'ouvre sur la vision lumineuse qu'inspire à Jaccottet l'écoute des madrigaux de Monteverdi, il se referme sur un sonnet en éclats dont la chute sentencieuse et cynique coupe court à la chasse au « chariot » de lumière qui marquait le début du recueil.

Conçue en deux mouvements, cette suite de poèmes marie la forme lyrique la plus traditionnelle aux libertés de la prosodie moderne : après l'« incendie » que marque en ouverture la musique de Monteverdi, la « lyre brûlante et lasse » résonne de poèmes à formes brèves qui hésitent entre la légèreté suspendue des strophes (d'un, deux ou trois vers) et le sentiment de la catastrophe. Le chant principal, souvent assombri par la voix basse, décline les leitmotive mythologiques chers au traducteur de L'Odyssée, de Dante, d'Ungaretti. La « beauté du monde » vibre tout aussi bien dans la « lampe »des« cerisiers blancs », le rire des sirènes, les bacchanales d'une nuit d'été, tels « Triomphes peints (…) de la Grâce (…) ou du Plaisir », le souvenir enchanté de trois femmes aperçues dans un jardin en Italie, le petit ruisseau évoqué par Dante à la fin de l'Enfer, le« vert, rose et bleu » ou le monde ailé (hirondelles, martinets, alouette, abeilles, cygne). Mais la célébration de cet âge d'or se voit sans cesse désaccordée par la descente au royaume des ombres que métaphorisent les « barques sinistres » (empruntées au dernier poème d'Ungaretti) ainsi que les figures païennes antiques d'Orphée, Ulysse, Diane et celle du bûcheron fatal, ce meurtisseur des arbres sacrés qu’évoque Ronsard dans un célèbre poème. La persévérance de « Pénélope à chaque aube, charitable », qui retisse le bleu du ciel, ne suffit pas à protéger de « l'archer noir aux trop froides flèches », pas plus que l’atermoiement de quelques vers lumineux n'aide le poète « frissonn[ant] sous [s]on manteau de plumes de coq », à franchir définitivement le pas vers le « ciel solaire ».

À travers ces deux livres, Philippe Jaccottet ne cesse de chercher une lumière pour l'accompagner dans la nuit sans trouver d'« autre barque » pour une « traversée impensable ». L'habitant de Grignan s'émeut de la « clarté » de la cloche du soir dont il laisse flotter les ondes intelligibles ; le madrigaliste célèbre dans ses vers « la beauté du monde » bien qu'il les voie aussitôt brisés par la « douleur du monde » ; le poète sait enchanter son incertaine odyssée, en jouant de la subtilité cristalline de la langue française et en laissant résonner sur les cordes les plus graves de sa lyre les harmoniques les plus aiguës.

— Yves LECLAIR

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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