LA CLOCHE D'ISLANDE, Halldor Kiljan Laxness Fiche de lecture

Une allégorie de l'Islande

On ne peut apprécier à sa juste mesure ce chef-d'œuvre que si l'on n'oublie pas la tragique histoire de l'Islande : « Il fut un temps, est-il dit dans les livres, où la nation islandaise ne possédait qu'un seul bien qui eût quelque valeur marchande. C'était une cloche. Cette cloche était suspendue au pignon de la maison de la Lögretta, à Thingvellir, sur la rive de l'Oxara, attachée à une poutre sous les combles. On la sonnait pour se rendre aux tribunaux, et avant les exécutions. » Ce petit pays, qui vécut un véritable âge d'or des origines au xiii^e siècle, connut ensuite un sort d'une rigueur inhumaine où la méchanceté des hommes (les colonisateurs norvégiens puis danois) se conjugua à l'inclémence des éléments (famines, épidémies, tremblements de terre, éruptions volcaniques) pour rayer de la carte une population minuscule. Mais celle-ci résista et sortit de toutes les traverses, d'une part, grâce à un vouloir-vivre vraiment exemplaire, d'autre part, en cultivant avec ferveur le souvenir du prestigieux Moyen Âge, de sa langue et des grands héros de sagas. Ce sont les moments les plus noirs de cette épopée que retrace La Cloche d'Islande.

Attentif comme tous ses compatriotes à la double réalité au sein de laquelle nous vivons – l'une que connaissent nos sens, l'autre, profonde, qui littéralement anime nos vies – Laxness a également voulu écrire un roman qui se lit sur deux plans en interférence. Ainsi, les trois personnages majeurs sont hautement symboliques : Jon est l'Islandais immémorial, qui ne plie pas devant le pouvoir arbitraire et qui entend bien imposer lui-même la loi, serait-elle dictée de très loin par ses prestigieux ancêtres d'il y a un millénaire. Arnas est la conscience littéraire et artistique d'un peuple qui a su, en dépit de son très petit nombre, créer une culture qui soutient la comparaison avec les plus grandes de l'Occident. Snæfridur représente la beauté, le rêve idéal que quête chacun de nous et que disent les splendides décors islandais où la lumière s'entend à tout transfigurer.