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LA COLONISATION DU SAVOIR. UNE HISTOIRE DES PLANTES MÉDICINALES DU « NOUVEAU MONDE » 1492-1750 (S. Boumediene) Fiche de lecture

Classifier, contrôler

Le livre II concerne l’« or amer des Indes », l’écorce du quina-quina. L’histoire de l’écorce de cet arbre est assez connue, encore que souvent tissée d’imaginaire. Le pouvoir du quinquina contre les fièvres intermittentes (le paludisme) est établi vers 1630, mais on ne connaît pas précisément les raisons pour lesquelles les Indiens l’utilisaient. Le fait est que des jésuites introduisent son usage comme fébrifuge, d’abord au Pérou, puis en Europe à partir de 1640. Le xviie siècle hésite à l’adopter alors que le paludisme est endémique en Europe : un remède jésuite inquiète les médecins anglais, car rien de bon ne saurait venir des papistes ; le remède anglois, ainsi appelé car introduit par l’Anglais Talbor, inquiète les Français pour une raison du même cru, car rien de bon ne saurait venir des protestants. Il faut attendre la guérison des fièvres de Louis XIV pour que l’écorce de quinquina devienne le spécifique des fièvres intermittentes par excellence. Premier médicament efficace, argument essentiel dans la classification des fièvres selon Torti (1710), il s’inscrit dans la logique d’un commerce actif, d’une exploitation méthodique protégée par un monopole royal partiellement circonvenu par les faussaires.

Le livre III aborde la part d’ombre de la colonisation du savoir médical des Amériques. De manière très originale, il replace l’essor des connaissances dans des contextes conflictuels, sociaux comme médicaux, politiques comme religieux, qui contribuent à la mise en place d’une forme de contrôle des vivants. L’interdiction des boissons indiennes, la prohibition des abortifs traditionnels, le contrôle de la coca – prohibée certes, mais tolérée pour les mineurs – avec en parallèle celui de la contrebande de ces substances, tout traduit une mainmise sur la vie quotidienne par l’administration espagnole, en même temps que la nécessité de faire des compromis pour contenir des populations traversées de tensions violentes.

L’ouvrage de Samir Boumediene, appuyé sur des sources primaires peu usuelles, renouvelle notre approche de la colonisation espagnole, en plaçant celle des savoirs au cœur du jeu des pratiques de domination, et au centre de la conception d’une politique originale qui prévalut dans les Indes occidentales dès Charles Quint.

— Gabriel GACHELIN

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Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

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