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LA CONFESSION IMPUDIQUE, Tanizaki Jun.ichirō Fiche de lecture

C'est un véritable scandale que suscite la parution en 1956 de La Confession impudique (Kagi, littéralement « La Clé »), œuvre du romancier japonais Tanizaki Jun.ichirō (1886-1965). L'auteur est alors âgé de soixante-dix ans : c'est un maître dans le monde des lettres, unanimement admiré et respecté. Si de ses œuvres de jeunesse émanait un parfum sulfureux, il avait retrouvé par la suite une inspiration plus traditionnelle qui l'avait amené, après-guerre, à s'inscrire explicitement dans le sillage de la tradition : il publie ainsi une traduction en langue moderne du chef-d'œuvre de la littérature du xie siècle, le Genji Monogatari (Le Dit du Genji), ainsi qu'un grand roman classique, Sasameyuki (Bruine de neige, 1943-1948, précédemment traduit sous le titre Quatre Sœurs).

Lorsque paraissent en revue les premières livraisons de La Confession impudique, ni les lecteurs ni les critiques ne sont donc préparés à lire, sous la plume de ce vénérable auteur, l'un des textes les plus audacieux et les plus transgressifs de la littérature japonaise contemporaine. La virulence des réactions obligera d'ailleurs l'auteur, pour éviter des poursuites judiciaires, à modifier légèrement son projet sans en altérer au demeurant la force et la nouveauté.

Un roman sulfureux

Il n'est pas difficile de comprendre, dès les premières pages, pourquoi ce texte choquait les lecteurs des années 1950 : l'ordre moral s'y trouve ouvertement défié. Le roman met en effet en scène un couple d'un certain âge qui se livre à une surenchère sexuelle impitoyable. L'homme qui sent faiblir son désir veut pourtant satisfaire sa femme, dont il demeure éperdument amoureux mais dont il ne peut combler l'attente érotique. Il va donc recourir à un stimulant, la jalousie, et manigance le rapprochement de sa femme et d'un jeune homme, Kimura, familier de leur fille. Le piège fonctionne à merveille : l'intimité croissante de l'épouse et du jeune homme, dont le mari ignore la nature exacte, suscite en lui la jalousie nécessaire pour aiguillonner son désir : « C'est quand je suis jaloux que je me sens le plus porté par la passion. Aussi, dans un certain sens, la jalousie m'est nécessaire, elle m'est agréable. Hier soir, c'est grâce à ma jalousie à l'égard de Kimura que j'ai réussi à contenter ma femme. J'en suis arrivé à reconnaître que l'existence de Kimura est désormais un aiguillon essentiel pour une heureuse continuation de la vie sexuelle de notre ménage. » La sexualité frénétique qui en résulte aura raison de sa santé. Victime d'une attaque, il finira par succomber.

Le roman est donc aussi scabreux qu'immoral, d'autant plus scabreux qu'il met délibérément en lumière une sexualité que l'on dirait aujourd'hui du « troisième âge », sur laquelle il est de coutume de jeter un voile pudique. La littérature n'a guère traité le sujet, qui se prête mal, selon les canons communs, à une approche esthétisante : or Tanizaki s'en empare sans la moindre retenue, en fait l'objet d'une narration extrêmement crue, accompagnée de surcroît dans l'édition originale d'illustrations fort explicites.

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Écrit par

  • : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales

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