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LA CONNAISSANCE DE LA DOULEUR, Carlo Emilio Gadda Fiche de lecture

Le « mal obscur »

À l'extérieur de cette trame ténue, l'évocation de la douleur qui, depuis l'enfance, travaille et modèle le fond obscur de la vie, caractérise la part intime de ce texte : la rancœur liée au passé fait surgir l'ensemble des images familiales traumatiques – le père mort, la mère vivante et morte, le frère tué au cours de la guerre – en une absence définitive de résignation au cours des choses. Douleur de la condition de vivre, douleur de l'existence dont il faut implacablement, et inutilement, essayer de connaître les raisons : mais cette connaissance – qui ne conduit à aucune guérison ni salut –, ne peut être saisie qu'à travers la résistance violente et intransigeante contre la mesquinerie et les bassesses d'une opinion sociale commune : « Germanique, il l'était par certaines manies d'ordre et de silence, par sa haine des papiers gras, des coquilles d'œufs et des civilités prolongées sur le pas des portes. Par une certaine rage intérieure, aussi, à vouloir remonter le cours des significations et des causes, un certain mépris de la surface et du vernis, une certaine lenteur et opacité du jugement – qui chez lui revêtait les apparences, avant que d'un éternuement, d'une inhalation : une trouble et tardive synthèse, mais un éblouissant éclair perroquet-or. »

La connaissance se double d'une conscience douloureuse des caractères difformes que revêt la réalité ; dès lors l'irrévérence, la provocation, le blasphème, la déception rageuse sont les seuls moyens de survivre à la série proliférante des négations. Pourtant, malgré l'exercice d'une supériorité critique tendant à la démystification des clichés du quotidien, la violence de Gonzalo n'en manifeste pas moins son impuissance et sa précarité face aux démons du réel tel que les pouvoirs le transcrivent et l'ordonnent : c'est de cette conscience extrême que naissent les très belles pages consacrées à la mère.

Loin d'une littérature consolatrice, Gadda, traversant et redisant toutes les strates de la langue italienne – y compris dialectales –, d'une splendeur brûlante, une écriture unique dans l'ensemble des expériences littéraires du xxe siècle. Il dit le « mal obscur », le désespoir de celui qui, tout en affirmant sa propre violence face à l'agression implacable des autres, ne sait et ne veut plus se rattacher à la réalité, sans pourtant renoncer aux questions sur la douleur dont « les histoires, les lois, les disciplines universelles [...] persistent à ignorer et la cause et les modes : et qu'on porte en soi tout au long de l'effritement foudroyé d'une vie, plus pesant chaque jour, sans remède ».

— Jean-Paul MANGANARO

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Média

Carlo Emilio Gadda - crédits : Mondadori Portfolio/ Bridgeman Images

Carlo Emilio Gadda

Autres références

  • GADDA CARLO EMILIO (1893-1973)

    • Écrit par
    • 2 815 mots
    • 1 média
    Dans La Connaissance de la douleur, dont la composition s'échelonne sur trente-deux ans (de 1938 à 1970) et qui restera inachevée, la tension constante entre absolu et éphémère recrée ce mal originaire et fondateur à l'égard duquel aucun salut n'est possible. Là aussi, on repère une archéologie, celle...