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LA CONSCIENCE DE ZENO, Italo Svevo Fiche de lecture

Italo Svevo - crédits : Umberto Veruda/ Mondadori/ Getty Images

Italo Svevo

Après l'insuccès de ses deux premiers romans, Une vie (1892) et Sénilité (1897), ignorés par la critique italienne alors que leur auteur n'est encore à Trieste qu'un sujet de l'Empire austro-hongrois, Italo Svevo (1861-1928) a renoncé à toute ambition littéraire. Toutefois, bien qu'absorbé par la gestion de la riche entreprise de ses beaux-parents, ce graphomane n'a pas cessé d'écrire. Après la Grande Guerre, dans la ville qui vient de devenir italienne et qui sert de cadre à tous ses romans, il rédige La Conscience de Zeno ; le roman, publié en 1923, est snobé par les Italiens alors attachés aux canons de la prose d'art et qui persisteront à juger qu'il est mal écrit. Son professeur d'anglais, James Joyce, lui conseille de contacter en France Benjamin Crémieux et Valery Larbaud qui, relayés par le poète italien Eugenio Montale, découvrent enfin ce génie méconnu.

Sa situation d'intellectuel frontalier et contrarié le prédisposait à exprimer, en la préfigurant, la grave crise d'identité qui a secoué l'Europe centrale au xxe siècle. De son vrai nom Ettore Aron Schmitz, Svevo est issu de Juifs allemands arrivés de Rhénanie et de Hongrie, ou du côté maternel, de Vénétie. Il est représentatif de cette communauté juive supranationale assimilée à la « nation triestine » et qui conservera un sentiment de culpabilité dû à cette coupure des racines. Chez les Schmitz, on parlait le dialecte triestin, mais au collège bavarois de Segnitz où Ettore a fait des études commerciales, outre l'allemand, langue d'enseignement, l'adolescent a appris le français, l'italien et l'anglais. Ce plurilinguisme et cette pluriculturalité se retrouvent dans le style et les allusions de Zeno narrateur. Le choix du pseudonyme d'Italo Svevo signifie que cet Austro-Triestin se sentait non seulement profondément biculturel, mais d'une personnalité clivée, « italo-souabe ». En outre Freud lui a appris que le moi, tenaillé entre le çà et le surmoi, se débat comme il peut.

Une crise d'identité

Le héros du livre est un personnage chaplinesque et hypercultivé, Zeno, à qui un psychanalyste a demandé de rédiger une « analyse historique » de sa névrotique impossibilité de s'arrêter de fumer. Zeno raconte donc successivement le trauma de la mort de son père, son mariage revécu comme acte manqué, ses déboires avec sa maîtresse, sa désastreuse association commerciale avec son rival. Ce récit d'une vie à la première personne, structuré autour de temps forts culpabilisants, nous entraîne dans le labyrinthe d'une conscience malade de ses contradictions et exemplaire d'une crise de conscience de la bourgeoisie au temps de la Mitteleuropa.

La conscience de cette crise, de la part de l'écrivain, nous vaut un roman d'une construction déstabilisante et géniale. Car l'autobiographie de Zeno s'ouvre sur un préambule où il ironise sur la technique psychanalytique des associations d'images, préambule précédé d'une Préface du docteur S. qui, pour se venger de son client qui a interrompu la cure après six mois d'expérience, a décidé de publier ce mélange de « vérités et de mensonges ». Le conflit entre le docteur et son patient met ainsi en question la véracité des faits et le bien-fondé de la cure.

L'autobiographie est suivie d'un journal que Zeno a commencé le jour de la rupture et où il évoque la cure et son désarroi lorsque la guerre éclate aux portes de Trieste : « Le docteur accorde une foi bien trop grande à mes sacro-saintes confessions qu'il ne veut pas me rendre afin que je les revoie. Mon Dieu ! Il n'a étudié que la médecine et ignore donc ce que veut dire écrire en italien pour nous qui parlons et ne savons pas écrire le dialecte. Une confession écrite est toujours mensongère. » Il ment[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université Stendhal, Grenoble

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Italo Svevo - crédits : Umberto Veruda/ Mondadori/ Getty Images

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