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LA COULEUR ET LE SANG, DOCTRINES RACISTES À LA FRANÇAISE (P.-A. Taguieff)

L'étude comparée des itinéraires de Joseph Arthur de Gobineau (1816-1882), de Gustave Le Bon (1841-1931) et de Georges Vacher de Lapouge (1854-1936) permet à Pierre-André Taguieff, dans un opuscule intitulé La Couleur et le sang paru en 1998 aux éditions Mille et Une Nuits dans la collection Les Petits Libres, de brosser le tableau des doctrines racistes à la française. Mus par un semblable esprit de système, ces trois hommes ont bâti des constructions que l'auteur s'applique à distinguer nettement, justifiant pleinement l'emploi du pluriel du sous-titre de l'ouvrage. Récupérées et transformées, leurs idées ont nourri les racismes du xxe siècle ; les nazis en particulier se sont réclamés d'eux.

Gobineau décrit en effet une inéluctable décadence provoquée par le mélange des races, mélange auquel il reconnaît néanmoins un certain mérite dans le développement de la civilisation. Gustave Le Bon se livre à une reformulation de la doctrine de l'inégalité des races dans le cadre de l'idéologie évolutionniste. Vacher de Lapouge enfin se fait l'ardent défenseur d'un projet eugéniste de régénération de la race. Leurs œuvres illustrent trois types idéaux de systèmes qui s'opposent nettement par les orientations sociales et politiques qu'ils impliquent. Pierre-André Taguieff tient à distinguer, dans ces systèmes, ce qui relève d'une vision du monde, d'une idéologie politique – qu'il souligne sous le terme de « racialisme » –, de ce qui est de l'ordre programmatique ou normatif, qui constitue à ses yeux le racisme au sens strict.

Il ressort de la synthèse clairement exposée par Taguieff que la commune prétention à la scientificité de ces trois penseurs a fait long feu. Malgré la diffusion massive des travaux de Gustave Le Bon, malgré l'influence du psychophysiologue Jules Soury (qui aurait pu compléter le portrait de groupe) au tournant du siècle, la France n'a pas connu d'équivalent de la « science nazie », produite par des courants entiers de l'Université allemande dont les travaux confluèrent avec l'idéologie national-socialiste.

Les trois auteurs étaient conscients du caractère antidémocratique voire belliciste de leurs thèses. Certes, les conséquences de la mise en œuvre politique des théories racistes ne sont apparues dans toute leur monstruosité qu'au milieu du xxe siècle, mais on ne peut pour autant considérer leurs prémices comme des formes de racisme naïves ou innocentes. Gobineau estime que les mélanges des sangs sont générateurs du mal destructeur de toute civilisation, la démocratie égalitaire. Vacher de Lapouge présente bien sa théorie des sélections et les mesures sélectionnistes pratiques comme un moyen de prévenir des guerres d'extermination. Il n'en prédit pas moins qu'« au siècle prochain on s'égorgera par millions pour un ou deux degrés en plus ou en moins dans l'indice céphalique ». « Les prochaines luttes entre les nations seront de véritables luttes pour l'existence, ne pouvant guère se terminer que par l'anéantissement complet de l'un des combattants », affirme Le Bon en 1898.

Ce sont tout particulièrement les idées de Lapouge qui vont servir à cautionner l'organisation systématique de ce qu'il affirmait craindre et qui cependant le fascinait tant.

Pierre-André Taguieff insiste sur l'attitude de théoriciens nazis qui, tout en se réclamant des trois hommes, s'en sont montrés des disciples peu scrupuleux. On pourrait prolonger l'analyse en montrant l'extrême diversité des théories raciales qui se sont exprimées dans le nazisme, leur coexistence malgré leurs incompatibilités mutuelles au sein même du régime ainsi que les simplifications, les transformations et la radicalisation de ces conceptions depuis leur exposé dans[...]

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