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LA COUSINE BETTE, Honoré de Balzac Fiche de lecture

Requiem pour la monarchie de Juillet

Dès sa publication dans Le Constitutionnel, La Cousine Bette remporta un « succès étourdissant ». Dopé par l'accueil du public, Balzac n'a cessé d'étoffer ce qui ne devait être au départ qu'une simple nouvelle, achevant son roman en moins de deux mois. Lui qui, à peine un an plus tôt, se sentait en perte de vitesse et confiait : « La Comédie humaine, je ne m'y intéresse plus », redevenait un auteur en vogue. Pourquoi une telle réussite ? C'est qu'il continuait d'utiliser les procédés du roman-feuilleton, qui avaient déjà assuré la fortune de Splendeurs et misères des courtisanes : le parti pris d'une narration qui va sans cesse de l'avant, sans s'encombrer des digressions qu'affectionnait jadis l'auteur ; le recours aux coups de théâtre les plus débridés, comme l'empoisonnement de Valérie ou l'entrée en scène de Vautrin, qui font s'emballer l'action et renouent avec la fantaisie du roman noir ; enfin et surtout une nouvelle plongée dans le monde des viveurs, des courtisanes et des vieillards libidineux, rendu cette fois avec un rythme fiévreux, des couleurs grises et glauques qu'il n'avait encore jamais connus.

Cette atmosphère doit beaucoup à des personnages qui vivent dans le constant paroxysme de la passion ou des sens. On sait que les créatures balzaciennes sont bourrées d'énergie jusqu'à la gueule. Mais jamais peut-être l'auteur n'avait créé des êtres à ce point tendus par la force de leur obsession. C'est le cas évidemment de Bette, à la fois pétrifiée et transportée par la haine : « Bette, comme une vierge de Cranach et de Van Eyck, comme une Vierge byzantine, sorties de leur cadre, gardait la roideur, la correction de ces figures mystérieuses, cousines germaines des Isis... C'était du granit, du basalte, du porphyre qui marchait. » C'est plus encore le cas de Hulot, incontinent et impénitent, allant de femme en femme et de déchéance en déchéance. Certes, de Goriot à Grandet, les monomanes ne manquent pas chez Balzac, mais leur ressassement délirant ne les empêche pas de conserver en eux quelque chose de positif. Ici leur énergie semble vouée à la seule destruction : « Je voudrais réduire tout ce monde en poussière », dit Bette. D'où un récit qui fait table rase des références passées. Il n'y a plus de héros : Wenceslas est un artiste raté, Crevel, même dans la débauche, demeure un boutiquier. Il n'y a plus de valeur, sinon l'argent qui permet l'assouvissement de tous les désirs.

Sur la société vaine et corrompue de la fin du règne de Louis-Philippe, Balzac jette un regard désabusé, qui le force à faire mourir presque tous ses personnages sauf Hulot, qui, dans sa nostalgie des fastes de l'Empire, garde un reste de panache. À ce pessimisme s'ajoute une profonde misogynie : qu'elle ait l'aspect repoussant d'une Bette, pour laquelle l'auteur disait s'être inspiré de sa propre mère, ou la séduction d'une Valérie Marneffe, la femme est toujours l'instrument de la destruction de l'homme.

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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