LA CRISE DES SCIENCES EUROPÉENNES ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE, Edmund Husserl Fiche de lecture
La réflexion ultime d'Edmund Husserl (1859-1938), l'auteur des Méditations cartésiennes et fondateur de la phénoménologie, au moment où l'Allemagne plonge dans le nazisme, porte sur la Krisis, « crise » des sciences qui met en péril son projet propre de philosophie comme « science rigoureuse » et, au-delà, crise de civilisation, « crise radicale de la vie de l'humanité européenne ». Le volume posthume intitulé Die Krisis der europaischen Wissenschaften und die transzendentale Phänomenologie est le témoignage de ce qui apparaît comme l'aboutissement de toute l'œuvre d'Husserl et, en tout cas comme un véritable « testament », selon la formule de son traducteur Gérard Granel.
Crise des sciences et crise de l'humanité
La Krisis correspond au volume VI des Husserliana, publié en 1954 seulement, soit seize ans après la mort du philosophe. Les deux premières parties du « texte principal » ont d'abord paru dans la revue Philosophia (1936) : « La Crise des sciences comme expression de la crise radicale de la vie dans l'humanité européenne » (paragraphes 1 à 7) ; « Élucidation de l'origine de l'opposition moderne entre l'objectivisme physiciste et le subjectivisme transcendantal » (paragraphes 8 à 27). La troisième partie : « Clarification du problème transcendantal. La fonction qui dans ce contexte revient à la psychologie » (paragraphes 28 à 73), plus composite, provient des manuscrits. L'ouvrage comprend aussi de très importants compléments, dont une conférence prononcée à Vienne en 1935 : « La crise de l'humanité européenne et la philosophie » et, parmi les appendices, « L'origine de la géométrie ».
La Krisis renoue en effet avec la question de l'origine. Le projet grec, qui a donné naissance aux mathématiques et indissociablement, pour Husserl, à la philosophie, c'est-à-dire le projet d'une « humanité issue de la raison », a perdu la conscience de soi dans l'autonomisation progressive des sciences, et dans leur abandon à la fascination « objectiviste ». La « réduction positiviste de l'idée de la science à une simple science-de-faits » (paragraphe 2) revient à exiler cette dernière du « combat pour le sens de l'homme » (paragraphe 6). Cette crise atteint l'humanité elle-même, pour autant que l'entreprise originelle révélait dans la raison, tendue vers la réalisation d'une fin universelle, non réduite à la contingence locale et historique, quelque chose de « l'essence de l'humanité ». Comme Paul Valéry l'avait écrit au sortir de la Première Guerre mondiale (dont Husserl lui aussi a connu l'épreuve), c'est à l'Europe, désormais secouée par de nouveaux démons, d'assumer la crise de l'esprit. « Le plus grand péril qui menace l'Europe, conclut la conférence de 1935, c'est la lassitude ». Il lui faut être « le Phénix d'une nouvelle intériorité vivante, d'une nouvelle spiritualité [...] car seul l'esprit est immortel. »
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2
Classification
Autres références
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PHÉNOMÉNOLOGIE
- Écrit par Renaud BARBARAS et Jean GREISCH
- 7 242 mots
- 2 médias
...difficultés rencontrées dans ces deux domaines. La distance que la phénoménologie est amenée à prendre vis-à-vis de l'idéalisme transparaît clairement dans La Crise des sciences européennes. La réflexion y est centrée sur la science, appréhendée du point de vue de son devenir historique, qui est caractérisé,...