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CROIX LA

On ne voit plus assez aujourd'hui que La Croix fut une réussite étonnante et neuve. Elle a en effet plus de cent ans, étant née en juin 1883 sous la forme d'un quotidien (un mensuel l'avait précédé depuis 1880). Cent ans font oublier ce qu'a représenté d'audace l'initiative des religieux assomptionnistes (congrégation créée par le père d'Alzon qui inspira La Croix, dont les fondateurs furent les pères Picard et Vincent de Paul Bailly, des journalistes qui ne trempaient pas leur plume dans l'académisme).

Le coup d'audace fut de lancer un journal populaire (5 centimes le numéro) ayant le christianisme (ou, plutôt, la défense du christianisme) pour raison d'être, à un moment où la « grande » presse naissait à peine, où l'Église était secouée par la République (à qui elle rendait ses coups avec usure) et où la presse des catholiques visait surtout les notables. Le succès de La Croix (174 000 exemplaires en 1902) prouve que le christianisme était resté populaire et révèle que cela ne l'empêchait pas d'être conservateur. La Croix n'est pas tendre en effet pour le « monde moderne » qui ne lui inspire guère confiance ; le père d'Alzon avait pourtant été ami de Lacordaire. Mais, entre la Commune et les années 1930, ceux qui ne liaient pas l'avenir de la foi chrétienne au passé de la France restèrent minoritaires.

La ligne de La Croix sera d'ailleurs curieusement brisée. On dirait qu'elle est invinciblement portée à revenir en arrière, et c'est Rome qui la relance « en avant » (ce qui ruine certaines idées reçues). En 1900, le pape Léon XIII obtient le départ du père Bailly : fin d'une période où La Croix s'est montrée antisémite avec les antisémites, antidreyfusarde, s'engageant dans la campagne électorale de 1898 ; début d'une période où La Croix joue le jeu du ralliement de l'Église à la République et modère son ton. Mais la guerre approche, La Croix chante la même chanson cocardière que tous les Français et n'est pas sans se laisser gagner par l'esprit de L'Action française (les catholiques français cherchent à démontrer alors qu'ils sont aussi patriotes que les autres). Seconde crise : La Croix ayant mal accepté la condamnation de L'Action française par le pape Pie XI (1926), celui-ci suscite le changement du rédacteur en chef. Du coup, La Croix fait moins de politique politicienne et prend des positions ouvertes sur des sujets fondamentaux, soutenant la naissante J.O.C. (Jeunesse ouvrière chrétienne), penchant vers un certain internationalisme plus conforme au christianisme que l'esprit de clan. Cette évolution aura sur les chrétiens français une influence non négligeable en montrant que l'Église a choisi de vivre « aujourd'hui » et d'être elle-même.

Le quotidien La Croix, qui a ôté la croix de son bandeau en 1956, a modifié son titre en 1972, devenant La Croix-L'Événement, marquant ainsi plus explicitement son ancrage dans l'actualité. Il conserve une audience nationale fidèle puisque 87 p. 100 des ventes se font par abonnement, mais la faiblesse de la diffusion et la modestie des ressources publicitaires entraînent des déficits d'exploitation qui sont couverts par les bénéfices des autres publications du groupe Bayard-Presse (Le Pèlerin, Notre Temps, diverses publications pour enfants, dont Pomme d'api). Une modification de la maquette est intervenue au début de 1983, à la suite de la nomination de Noël Copin à la direction, mais les contenus restent marqués par l'actualité religieuse. En 1983, le journal a fêté son centenaire dans un contexte difficile : « celui de s'affirmer chrétien dans une société qui se déchristianise ». C'est pour relever ce défi qu'ont été entreprises les modifications tant dans la présentation et le[...]

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