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LA CURÉE, Émile Zola Fiche de lecture

Chasseurs et proies

Dans cette optique, le dérèglement des sens et la dissolution des valeurs qu'induit l'obéissance aveugle aux pulsions ne sont pas seulement immoraux, ils sont aussi puissamment mortifères, comme l'annonce le titre du roman. Dans son sens premier, la « curée » désigne « la portion de la bête tuée que l'on donne aux chiens de chasse ». Cette sauvage voracité – mangeur et mangé confondus dans une même animalisation – est au cœur de la mythologie zolienne, obsédée par la métaphore du monstre engloutissant ses proies, du Voreux de Germinal à la Lison de La Bête humaine. Pareillement,le motif de la ruée collective et quasi orgiaque vers les plaisirs se retrouvera, entre autres, dans Le Ventre de Paris ou Au bonheur des dames.

La première dépouille livrée aux chiens sera celle de Renée, ironique « nouvelle Phèdre » qui paiera de sa raison et de sa vie moins sa faute que son assimilation à un monde de parvenus sans foi ni loi qui, à l'origine, n'était pas le sien. Que ce symbole soit féminin n'est pas anodin. Il y aurait beaucoup à dire sur le regard profondément ambivalent que porte Zola sur la femme, objet de tous les fantasmes, à la fois modèle et repoussoir, innocente et coupable, sainte et sorcière... Comme si en elle, c'est-à-dire, littéralement, dans son corps – ce corps contemplé avec autant de fascination que de répulsion – se cristallisaient tous les maux de la société, et peut-être, au-delà, toute la folie humaine.

Sur de nombreux points, une autre grande victime vient se superposer à Renée : même féminisation, même imaginaire, même ambivalence... C'est Paris, ville martyre démembrée par les démolisseurs, les promoteurs et les financiers, sur laquelle Saccard s'abat « avec ce flair des oiseaux de proie qui sentent de loin les champs de bataille ». Aux yeux de Zola, les travaux entrepris par Haussmann ne signifient nullement progrès, modernisation, assainissement et rationalisation, mais massacre et dépeçage en règle. Il n'empêche : dès son arrivée, avant d'y voir une source d'enrichissement, Aristide a longuement parcouru la ville avec un regard émerveillé qui fut sans doute celui de Zola, lui aussi provincial « monté » à la capitale. C'est qu'ici encore, à l'étude toute naturaliste de la géographie sociale vient se superposer une approche esthétique, fantasmatique et profondément affective – romantique en un sens – du paysage urbain. D'où les superbes tableaux – bois de Boulogne, panorama depuis la butte Montmartre, Grands Boulevards... –, qui scandent le roman, évoquant irrésistiblement, par leur sujet mais aussi par l'art de la description, tout en suggestion, en touches de couleurs et de lumières, les toiles des amis impressionnistes de l'auteur.

— Guy BELZANE

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  • ZOLA ÉMILE (1840-1902)

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    ...partager), d'autre part avec la structuration mythique du système des personnages et des situations narratives. L'exemple le plus explicite est fourni par La Curée, où Renée et Maxime retrouvent leur propre histoire, en abîme, dans le spectacle que leur offre une représentation de Phèdre. Mais l'arrière-texte...