LA DAME AUX CAMÉLIAS (mise en scène A. Arias)
Fantôme tout habillé de noir, le geste las, le pas lent, elle apparaît, comme surgie d'outre-tombe, dans l'encadrement d'une porte. Son visage se dévoile. Dans la salle, chacun retient son souffle. Le regard perdu, elle esquisse une moue, comme si sa bouche n'était pleine que du goût de la mort, puis s'en va... Isabelle Adjani joue La Dame aux camélias. Un personnage romantique comme le public les aime – une femme perdue qui se perd plus encore par amour, pour connaître du même coup la rédemption. Une héroïne dont le destin allait trouver son accomplissement artistique avec La Traviata de Verdi, avant d'être transposé au cinéma par Abel Gance, Bolognini, Mizoguchi (Le Destin de madame Yuki) ou George Cukor (Le Roman de Marguerite Gautier, avec Greta Garbo). Une figure mythique, enfin, pour des monstres sacrés qui ne s'y sont pas trompés, de Sarah Bernhardt à Edwige Feuillère, en passant par la Duse, Cécile Sorel, Ludmilla Pitoëff...
Quoi de plus naturel, donc, qu'Isabelle Adjani effectue avec ce rôle son « retour » sur la scène, au Théâtre Marigny à Paris, le 18 octobre 2000. Elle qui débuta en 1971, à seize ans, sous la conduite de Robert Hossein dans La Maison de Bernarda Alba, interpréta, coup sur coup, à la Comédie-Française, Molière (L'École des femmes, L'Avare), Montherlant (Port-Royal) et Giraudoux (Ondine), avant de se lancer dans l'aventure malheureuse de Mademoiselle Julie, de Strindberg, était restée dix-sept ans absente des planches, poursuivant un parcours chaotique au cinéma. Il y avait donc de quoi donner à cette rentrée théâtrale des allures de défi. Pour ces retrouvailles, les spectateurs étaient au rendez-vous. C'est bien elle qu'ils étaient venus voir, l'actrice, plus que la courtisane imaginée par Alexandre Dumas fils, à partir d'un amour malheureux de jeunesse : celui d'Alphonsine Plessis, dite Marie Duplessis, une enfant de Normandie « montée » à Paris. Leur liaison dura quelques mois entre 1844 et 1845. Deux ans plus tard, minée par la tuberculose et ruinée, Marie succombait, en plein carnaval. De cette brève liaison, Dumas tira un roman, La Dame aux camélias (1848), dont la deuxième version, parue en 1852, fut immédiatement adaptée à la scène, au théâtre du Vaudeville.
C'est le roman, plus que la pièce, que René de Ceccaty a utilisé très librement ici. Recentrant l'action autour de Marguerite et d'Armand, son amant, supprimant nombre de personnages, en condensant plusieurs en un seul, en créant d'autres, il privilégie l'aspect autobiographique de l'œuvre (d'où la présence d'un « narrateur » sur le plateau), en même temps que l'« urgence du désir » qui anime son héroïne. Pourquoi pas ? Sinon que, chemin faisant, il en vient à sacrifier beaucoup de ce qui fait la chair du mélodrame, au profit d'un texte plus froid, plus conventionnel, rejetant le xixe siècle pour y revenir à travers des formules surannées. Surtout, il ne tient aucun compte du regard que Dumas fils porte sur la société. De Ceccaty ne voit en lui qu'un « puritain », alors qu'il s'agit d'un moraliste dont le réalisme fut célébré, à ses débuts du moins, par Zola. Si La Dame aux camélias raconte bien un amour impossible, elle est aussi le tableau d'un monde en perdition, un monde d'argent et de cynisme qui trouve sa place entre Splendeur et misère des courtisanes et Nana où, cette fois, le personnage de la « dévoyée » trouvant la rédemption dans l'amour et la mort n'a plus lieu d'être. De Ceccaty, lui, enchâsse l'héroïne dans le seul univers de la représentation et du théâtre, à l'instar du décor de Roberto Plate constitué de cadres de scène qui s'emboîtent les uns dans les autres. Dès lors, à l'écart de toute histoire, il est fatal que les rôles secondaires (Armand, Prudence,[...]
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
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