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LA DANSE DE LA FORÊT, Wole Soyinka Fiche de lecture

Une allégorie politique

La pièce peut être lue comme un subtil jeu de miroirs entre un avenir incertain et un passé honteux. Des créatures monstrueuses (comme ces triplés qui symbolisent « la fin qui justifie les moyens », « les grandes causes » toujours opportunistes ou la « postérité » sanglante) viennent présenter l'image d'un futur dont la seule constante semble être celle de la guerre, « cette inévitable fatalité ». Pour faire revivre les erreurs du passé, Soyinka demande alors à ses personnages contemporains de jouer les rôles qu'ils ont tenus, il y a huit siècles, à la cour d'un tyran africain : cette « pièce dans la pièce » révèle que le sculpteur a été un poète de cour flagorneur et lâche, la prostituée une reine fantasque et cruelle, et le conseiller un historiographe qui dissimulait dans ses écrits les scandales de l'esclavage.

La naissance, au dernier acte, de l'enfant qui surgit enfin des « flancs maudits » de sa mère vient clore d'une façon énigmatique cette danse de vie et de mort. L'enfant dont la femme accouche est « inachevé », plaintif, inquiet mais aussi inconstant. En cela, il symbolise, de toute évidence, le futur mort-né du Nigeria. Les dieux se disputent pourtant farouchement sa possession, mais c'est finalement le sculpteur qui réussit à s'en emparer et à le confier de nouveau à sa mère. Ce geste sentimental implique que va se perpétuer le cycle d'impuissances qui a prévalu jusque-là puisque cette mère s'est révélée faible et indigne de lui donner le jour pendant si longtemps. D'un autre coté, l'intervention du sculpteur indique que Soyinka souhaite mettre le futur de sa jeune nation sous la protection d'artistes qui, comme lui, luttent contre l'absence de lois.

Cette superbe pièce de jeunesse d'un lyrisme parfaitement dominé annonce déjà les éloges que, plus de vingt ans plus tard, l'Académie suédoise décernera à Wole Soyinka lorsqu'elle lui attribuera, en 1986, le prix Nobel de littérature pour avoir su « façonner le drame de l'existence au sein d'une véritable harmonie poétique ».

— Denise COUSSY

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Wole Soyinka - crédits : Keystone-France/ Getty Images

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