LA DANSEUSE (P. Modiano) Fiche de lecture
La Danseuse (Gallimard, 2023), qui donne son titre au roman de Patrick Modiano, n’a pas de nom. Mais, dès l’incipit du livre, le narrateur s’interroge sur la couleur de ses cheveux. Cette incertitude revient souvent dans le récit qui, comme Chevreuse (2021) et comme tous les romans de l’auteur, nous plonge dans un temps qui a « brouillé les visages » et « gommé les repères ». La Danseuse est l’un des morceaux du puzzle que constitue toute l’œuvre de Modiano.
Plonger dans le passé
La nouveauté de ce roman tient d’abord à son extrême densité. Moins de cent pages, de très brefs chapitres. Modiano use de l’ellipse, il condense, écrivant comme on rêve, sans que le contenu manifeste apparaisse. Danser comme écrire se ressemblent. La surprise tient aussi au regard que le narrateur porte sur le présent. Les saisons disparaissent, aux hivers froids d’autrefois ont succédé des mois de décembre tièdes. Le trouble est plus général : le narrateur écrit en 2022, notant que les temps que nous vivons sont difficiles depuis trois ans. On sent aussi une forme de colère à l’évocation d’un Paris devenu semblable à un grand parc d’attractions avec ses « bataillons » de touristes rejoignant un corps d’armée. Jamais l’auteur n’avait ainsi décrit la ville qu’il aime et arpente depuis l’origine.
Tout commence de nos jours par une possible méprise. Le narrateur croit reconnaître Serge Verzini, une vieille connaissance liée à cette danseuse dont il a perdu la trace. Le souvenir des autres protagonistes de ce temps désormais lointain revient. La danseuse appartient en effet à une autre époque. Le narrateur est ce jeune homme qui ne sait pas encore ce qu’il deviendra et qui pourrait basculer du mauvais côté. Pour reprendre une de ses images favorites, il « fait la planche ». Il prétend écrire des paroles de chanson. Un peu plus tard, il rencontre l’éditeur Maurice Girodias, traduit pour lui de l’anglais un roman sulfureux, et y ajoute des pages.
Dans le même temps, il s’occupe avec un certain Hovine de « petit Pierre », le fils de la danseuse. Si celle-ci n’a pas de nom, Pierre, lui, semble muet. Son père s’est enfui, laissant à la jeune femme une mallette remplie de billets. Nous l’apprenons dans les dernières pages du roman, écrites à la troisième personne, du point de vue de la danseuse. Un changement là aussi remarquable, puisque soudain le narrateur s’absente de son récit.
Si, longtemps, on ignore tout de la mallette, on sait que l’héroïne fréquente des gens louches. Deux d’entre eux la suivent, voire la harcèlent, et « l’odeur de marécage » de l’un deux, André Barise, la dégoûte, comme l’homme la terrorise. Chez Modiano, la violence n’est jamais que suggérée, et il suffit que Barise plaque la jeune femme dans le train entre Paris et Saint-Leu-la-Forêt pour que la tension soit perçue.
D’autres personnages sont tout aussi inquiétants. Même s’il est le mécène de la danseuse et s’il loge le narrateur, Verzini est de ces hommes louches que l’on croise souvent chez Modiano, silhouettes de films noirs à la Jean-Pierre Melville. Ils sont laconiques, comme tous les protagonistes du roman. On élude, on contourne ou, à l’instar de l’héroïne, on parle « par saccades » quand on n’a pas « le souffle court ».
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
Classification
Média